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266  La Crise des         Cuba     missiles de    9  17  16          risque de réplique et de toute menace de sa propre destruction.   de lancer une offensive nucléaire, afin de se débarrasser de tout   frappe. Dans ces conditions, tout État pouvait donc être tenté   conflit nucléaire, s’il pouvait être détruit lors d’une première





                                                                                                          Robert Kennedy prit congé de l’ambassadeur russe, ne sachant
   LA  MAIN  CACHEE  ·   La crise  envahie,  l’Amérique, liée  par un  traité, aurait de  nombreuses     LA  MAIN  CACHEE  s’il avait réussi à le convaincre. Lui et beaucoup d’autres
               raisons de défendre cette ville. Risquait alors de s’ensuivre une
                                                                                                       s’attendaient à se réveiller le lendemain matin – si toutefois ils se
 Au petit matin du 14 octobre 1962, l’avion-espion américain U-2
               guerre, probablement nucléaire.
                                                                                                       réveillaient – en pleine « guerre apocalyptique ».
 prit des photos de reconnaissance de Cuba, révélant la présence de
                  Pendant que Kennedy et ses conseillers débattaient du
 sites nucléaires sur l’île. D’après les clichés, les missiles n’étaient pas
                                                                                                          Mais  heureusement,  à  l’aube  du  dimanche  28  octobre,  se
               problème, le monde était soigneusement tenu dans l’ignorance. Or,
 encore opérationnels, mais les Soviétiques mettaient tout en œuvre
 pour accélérer la mise en place de leur arsenal, tout en gardant
                                                                                                       déclaration sur Radio Moscou. Les Soviétiques, avait-il annoncé,
               opérationnels. Et si cette situation se produisait, l’opération
 secrètes leurs activités.  chaque jour qui passait, les missiles risquaient de devenir                répandit la bonne nouvelle que Khrouchtchev avait fait une
                                                                                                       allaient démanteler leur arsenal nucléaire à Cuba. Khrouchtchev
               militaire américaine deviendrait infiniment plus dangereuse.
 Le  Président  Kennedy fut immédiatement informé  de la   Kennedy opta finalement pour une mesure risquée consistant à   aurait pu signaler que les États-Unis se pliaient aux exigences
 situation. Une fois que les missiles seraient opérationnels, fut-il mis   imposer un blocus sur Cuba. Or historiquement parlant,   exprimées dans la seconde lettre, mais il n’en fit rien. La guerre
 en garde, les villes et les citoyens d’Amérique risquaient d’être   l’instauration d’un blocus correspondait à un acte de guerre. C’est   avait été évitée de justesse.
 littéralement éradiqués. En effet, un seul missile nucléaire lancé de   pourquoi il lui préféra le terme de « mise en quarantaine », laissant
 Cuba pouvait atteindre Washington D.C ou une autre métropole   ainsi aux Soviétiques une chance de démanteler les missiles et de
 en cinq minutes, et tuer quatre-vingts millions de personnes ! Les   quitter Cuba. Cette décision était dangereuse et incompréhensible   ·   Commentaires sur Kennedy
 États-Unis n’avaient jamais été confrontés auparavant à une telle   pour certains militaires, car elle ôtait toute possibilité d’une
 menace. C’était la première fois qu’un Président américain devait   attaque-surprise. En effet, dès que Kennedy prononcerait le terme   La manière dont Kennedy géra la Crise des missiles de Cuba est
 faire face à une crise de cette ampleur. 9                                                            considérée par bon  nombre  d’experts comme étant  le point
               de « mise en quarantaine », les Soviétiques se mettraient en état
 Kennedy décida de garder cette information secrète, afin de   d’alerte maximale vis à vis d’une action militaire américaine.  culminant de son mandat présidentiel. L’épisode de « la Baie des
 planifier une stratégie et éviter d’être pris de court par les   Cependant, Kennedy ne pouvait garder éternellement le secret.   Cochons » lui avait appris à qui faire confiance, et comment
                                                                                                                                                   12
 événements. Ses conseillers militaires lui suggérèrent de lancer une   Quelques jours après le début de la crise, les grands journaux du   s’entourer de conseillers dans ses prises de décision.  Pendant cette
 attaque-surprise massive sur Cuba et sur les sites de missiles   pays eurent vent de la situation. Mais alors qu’ils étaient sur le   crise, Kennedy fit la plupart de ses choix en s’inspirant du livre de
 soviétiques, suivie d’une invasion générale des forces américaines.   point de publier le scoop, Kennedy les devança et s’adressa lui-  Barbara Tuchman Août 14, titulaire du Prix Pulitzer, traitant des
 Mais  une  invasion  présentait  le  risque  de  déclencher  une  guerre   même à la nation.          causes sous-jacentes de la Première Guerre mondiale.
 générale contre les Soviétiques, conflit qui pouvait facilement                                          « La Première Guerre mondiale, déclara-t-il, est survenue en
 basculer dans une catastrophe nucléaire. Qui plus est, les militaires                                 raison d’une série d’incompréhensions des intentions du camp
 de Kennedy ne pouvaient s’engager à détruire 100% des missiles.   ·   La phase publique               adverse. » L’entêtement inflexible des dirigeants de cette époque
 Et un seul missile nucléaire restant aux mains des Russes pouvait            La crise des missiles de Cuba  plongea l’humanité dans un conflit sanglant qui aurait pu être
 suffire à exterminer des millions d’Américains.                                                       évité.
               Une fois la crise devenue publique, la tension monta. Aucun camp
 De plus, même si aucun missile nucléaire n’était lancé de Cuba,   ne voulait la guerre, mais chacun s’y sentait acculé. Le 24 octobre,   La Seconde Guerre mondiale, en revanche, évolua de la sorte,
 Kennedy était persuadé que les Soviétiques répliqueraient en   des navires marchands soviétiques (apportant peut-être des missiles   notamment car les conciliateurs comme Neville Chamberlain se
                                                                                                                                  13
 envahissant Berlin Ouest. Or à l’époque, Berlin-Ouest était à   supplémentaires) s’approchèrent de la ligne de blocus. Les navires   plièrent aux exigences d’Hitler.  Les chefs politiques de l’époque
 l’URSS ce que Cuba était aux États-Unis. Si Berlin-Ouest était   de guerre américains envoyés dans leur direction repérèrent   péchèrent par excès inverse : ceux qui avaient le pouvoir de





                                                                              267                271                                                         #                                                                                     68254_efi-ab - 68254_efi-ab.1 | 9 - A | 18-07-04 | 10:32:49 | SR:-- | Black   68254_efi-ab -

















                                                                                                  La crise des missiles de Cuba  14                      Une pluie battante  Le monde a été menacé de destruction en 1962, juste lors de la   « Hachem dit : “J’effacerai l’homme que J’ai créé de la surface de   Pendant « la Crise des missil
                                                                      risque de réplique et de toute menace de sa propre destruction.
                                                                      de lancer une offensive nucléaire, afin de se débarrasser de tout
       Cuba
                                                                      frappe. Dans ces conditions, tout État pouvait donc être tenté
                                                                      conflit nucléaire, s’il pouvait être détruit lors d’une première
                                                                      risquait même au contraire d’inciter à une agression et à un
                                                                      un  arsenal  nucléaire  n’avait  aucun  pouvoir  dissuasif,  voire
                                                                      probabilité de signer son propre arrêt de mort. À première vue,
    missiles de
                                                                      armes nucléaires pour défendre son territoire, en dépit de  la
                                                                      tentèrent de décortiquer la logique sous-tendant l’usage des
                                                                      années  1950, quelques-uns des meilleurs cerveaux du  monde
                                                                      fondamental : « La capacité de seconde frappe ». Au cours des
 La Crise des
                                                                      •  La Guerre Froide vit l’apparition d’un concept
                                17
                                                                      Nord risquait d’être entièrement éradiqué. »
                                                                      d’un tel surarmement que « s’ils l’utilisaient, l’Hémisphère
                                                                      détracteurs du nucléaire de l’époque, les Russes étaient pourvus
                                                                      conventionnelles soviétiques. Pour reprendre les termes des
                                                                      parfaitement conscients de la puissance des armes non
                                                                      sur la supériorité de l’arsenal américain, tout en étant
                                                                      analystes américains du renseignement n’avaient aucun doute
                                                                      États-Unis disposaient d’environ 18 000 armes nucléaires. Les
                                                                      Unis. Lorsqu’Eisenhower céda la présidence à Kennedy, les
                                                                      disait à l’époque la communauté du renseignement des États-
                                                                      modeste, il n’en était pas moins immense, à en croire ce qu’en
                                                                      considérable. Quant à l’arsenal soviétique, bien que plus
                                                                      •  En 1960, l’arsenal nucléaire des États-Unis était

                                                                      terrestre ou sur un porte-avions.
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  9
                                                                      sous l’aile de chasseurs-bombardiers positionnés sur une base
                                                                      simples bombes à TNT, et pouvaient facilement être placées
                                                                      puissantes,  mesurant  1 mètre de long, avaient la forme de
                                                                      Au moment de la Crise des missiles, des bombes vingt fois plus
                                                                      exploser, une équipe d’experts avait dû travailler plusieurs jours.
                                                                      qu’elle soit chargée à bord d’un avion et programmée pour
                                                                                 LA  MAIN  CACHEE
                                                                      mesurait 3 mètres de long et pesait près de 5 tonnes. Pour




                                                                                274
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