Page 49 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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qu’il fut glacial pour Napoléon déclinant. À partir de 1813, il adhéra ou il
applaudit à toutes les manifestations hostiles. Il ; refusa, de le voir à son ;
passage au retour de l’île d’Elbe, et s’abstint d’ordonner dans son diocèse
les prières publiques pour l’empereur pendant les Cent-Jours.
Outre sa : sœur mademoiselle Baptistine, il avait deux frères ; l’un
général, l’autre préfet. Il écrivait assez souvent à tous les deux. Il tint quelque
temps rigueur au premier, parce qu’ayant un commandement en Provence, à
l’époque du débarquement de Cannes, le général s’était mis à la tête de douze
cents hommes et avait poursuivi l’empereur comme quelqu’un qu’on veut
laisser échapper. Sa correspondance resta plus affectueuse pour l’autre frère,
l’ancien préfet, brave et digne homme qui vivait retiré à Paris, rue Cassette.
Monseigneur Bienvenu eut donc, aussi lui, son heure d’esprit de parti, son
heure d’amertume, son nuage. L’ombre des passions du moment traversa ce
doux et grand esprit occupé des choses éternelles. Certes, un pareil homme
eût mérité de n’avoir pas d’opinions politiques. Qu’on ne se méprenne pas
sur notre pensée, nous ne confondons point ce qu’on appelle « opinions
politiques » avec la grande aspiration au progrès, avec la sublime foi
patriotique, démocratique et humaine, qui, de nos jours, doit être le fond
même de toute intelligence généreuse. Sans approfondir des questions qui ne
touchent qu’indirectement au sujet de ce livre, nous disons simplement ceci :
Il eût été beau que monseigneur Bienvenu n’eût pas été royaliste et que son
regard ne se fût pas détourné un seul instant de cette contemplation sereine
où l’on voit rayonner distinctement, au-dessus du va-et-vient orageux des
choses humaines, ces trois pures lumières, la vérité, la justice et la charité.
Tout en convenant que ce n’était point pour une fonction politique que
Dieu avait créé monseigneur Bienvenu, nous eussions compris et admiré la
protestation au nom du droit et de la liberté, l’opposition fière, la résistance
périlleuse et juste à Napoléon tout-puissant. Mais ce qui nous plaît vis-à-
vis de ceux qui montent nous plaît moins vis-à-vis de ceux qui tombent.
Nous n’aimons le combat que tant qu’il y a danger ; et, dans tous les cas, les
combattants de la première heure ont seuls le droit d’être les exterminateurs
de la dernière. Qui n’a pas été accusateur opiniâtre pendant la prospérité
doit se taire devant l’écroulement. Le dénonciateur du succès est le seul
légitime justicier de la chute. Quant à nous, lorsque la providence s’en mêle
et frappe, nous la laissons faire 1812 commence à nous désarmer. En 1813,
la lâche rupture de silence de ce corps législatif taciturne enhardi par les
catastrophes n’avait que de quoi indigner, et c’était un tort d’applaudir ;
en 1814, devant ces maréchaux trahissant, devant ce sénat passant d’une
fange à l’autre, insultant après avoir divinisé, devant cette idolâtrie lâchant
pied et crachant sur l’idole, c’était un devoir de détourner la tête ; en 1815,
comme les suprêmes désastres étaient dans l’air, comme la France avait le
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