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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                    Dans la méthode des lieux, les athlètes de la mémoire n’asso‑
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                  cient pas seulement une lettre à un mot, mais un lieu à une idée .
                  Systématisée, cette technique d’« hyperécriture  » pourrait per‑
                                                                 2
                  mettre de créer un nouveau médium et, par lui, d’externaliser au
                  moins la mémoire spatiale, comme l’écriture externalise au moins
                  la mémoire de travail.
                    L’écriture consiste en une association largement arbitraire et
                  entraînée de graphèmes (par exemple des lettres), de phonèmes
                  (des sons) et de noèmes (des idées). Je dis « largement » car elle
                  repose tout de même sur une certaine géométrie du sens, comme
                  le démontre l’effet « Bouba‑ Kiki » : si, en effet, on montre, à des
                  sujets deux figures géométriques, l’une pointue et l’autre incurvée,
                  quelle que soit la culture, les gens associeront plus souvent la figure
                  arrondie au nom « Bouba » et la figure pointue à celui de « Kiki ».
                    Dans l’écriture, par exemple, la lettre A proviendrait de la forme
                  d’une tête de taureau, inversée au cours du temps, et son origine
                  serait probablement comptable. Cette lettre aurait représenté une
                  association graphème‑ noème (lettre associée à une idée) avant de
                  représenter un des phonèmes (sons) les plus simples : « ah ». Les
                  corrélats neuronaux des graphèmes et des phonèmes sont bien
                  compris aujourd’hui, et l’existence d’une physiologie de l’écriture
                  est acquise. Mais puisque les corrélats neuronaux des locèmes
                  (c’est‑ à‑ dire de la pensée du lieu), sont connus eux aussi, il pourrait
                  y avoir également une physiologie de l’hyperécriture, avec notam‑
                  ment les « cellules de lieu » et les « cellules de grille » qui ont été
                  l’objet du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2014.

                  Vers une hyperécriture

                    L’hyperécriture serait une association arbitraire entre graphème,
                  locème et noème, pour spatialiser et écrire notre pensée. Dans mes
                  travaux, j’en ai proposé un prototype, qu’en hommage à l’écriture
                  minoenne non déchiffrée « linéaire A » j’ai appelé « incurvé A ».
                  J’ai choisi pour cette écriture, manuelle, mais nécessitant une forme
                  de zoom (par exemple sur une tablette tactile) des courbes qui



                    1.  Cf. p. 43.
                    2.  Aberkane, I., « Hyperwriting, a multiscale writing with the method of loci »,
                  Sens Public, 2016.

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