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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
l’usage de la parole, pour le développer ensuite par d’autres moyens. Il
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fut testé à dix‑ sept ans par Laura Danelli et ses collaborateurs , et son
niveau de langage parut très difficilement discernable de celui d’un sujet
à deux hémisphères. On a, par ailleurs, découvert des langages sifflés qui
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peuvent reposer sur les deux hémisphères à la fois .
On a démontré récemment qu’il demeurait chez certains aveugles corti‑
caux (dont la rétine est fonctionnelle mais qu’une lésion du cortex visuel
primaire rend incapable de voir consciemment) un circuit moteur de la
vision, et que ces personnes pouvaient « voir » un objet suffisamment pour
l’attraper, du moment qu’elles parvenaient à inhiber leur sensation d’en
être incapables. C’est que la rétine, et le corps genouillé latéral n’envoient
pas de l’information qu’au cortex visuel primaire, mais également dans
d’autres aires, en particulier celles qui sont associées à la motricité. Ce
phénomène est appelé blindsight, ou « vision aveugle », parce que ces
sujets parviennent à repérer visuellement des objets sans avoir conscience
de les voir. Selon certains chercheurs, dans cette configuration, le plan B
cérébral passerait par le colliculus supérieur , mais la théorie est encore
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discutée. Un des premiers cas de blindsight chez l’humain fut observé chez
le patient « DB » dont le champ visuel gauche était consciemment aveugle
mais qui parvenait à y localiser des sources de lumière malgré tout, avec
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une précision presque identique à celle de son champ visuel droit, sain .
Le grand champion des neurosciences du plan B demeure le neuros‑
cientifique Paul Bach‑ y‑ Rita, au point que le domaine mériterait d’être
baptisé selon ses initiales. Ses expériences de « substitution sensorielle »
sont marquantes. Il permit, par exemple, à des aveugles rétiniens de
« voir » en les entraînant à reconnaître le signal envoyé par une caméra
sur leur langue. Dans l’une de ses expériences, il soumit des aveugles
fraîchement équipés à un tableau de vue de Snellen (les lettres qu’on
lit chez l’ophtalmologiste) où leur acuité visuelle fut tout de même de
20/860, puis passa au double après seulement neuf heures d’entraîne‑
ment. Après plusieurs mois sur l’interface, ses sujets pouvaient même
1. Danelli, L., Cossu, G., Berlingeri, M., Bottini, G., Sberna, M. et Paulesu, E., « Is a
lone right hemisphere enough? Neurolinguistic architecture in a case with a very early
left hemispherectomy », Neurocase (2013), 19, 209‑231.
2. Carreiras, M., Lopez, J., Rivero, F. et Corina, D., « Linguistic perception :
Neural processing of a whistled language », Nature (2005), 433, 31‑32 ; Güntürkün,
O., Güntürkün, M. et Hahn, C., « Whistled Turkish alters language asymmetries »,
Current Biology (2015), 25, R706‑ R708.
3. Stoerig, P. et Cowey, A., « Blindsight in man and monkey », Brain (1997), 120,
535‑559 ; Weiskrantz, L., « Blindsight : A case study and implications », 1986.
4. Weiskrantz, L., « Blindsight : A case study and implications », 1986 ; Cowey, A. et
Stoerig, P., « The neurobiology of blindsight », Trends in Neurosciences (1991), 14, 140‑145.
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