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Littérature maritime

(Suite de la page 21) effleurées la coque. Les futurs mutins repre-
reuses méritées pour avoir trompé les calculs naient espoir ! En se rapprochant de la Santa-
des pilotes. Pour faire le point, selon la formu- Maria, nous apprîmes que l’Amiral promettait
le consacrée des marins, c’est-à-dire savoir se au premier matelot qui découvrirait la terre
situer sur la grande mare, nous utilisions un d’ajouter une veste de velours à la pension de
instrument qui nous permettait de pratiquer maravédis* promise par les souverains. Pen-
une navigation astronomique des plus primai- dant la nuit, il nous sembla entendre des va-
res. Nous savions déduire directement de l’ob- gues se briser sur un invisible rivage. Les
servation la latitude avec un instrument qui navires avancèrent le plus prudemment possi-
avait détrôné l’astrolabe, que les Arabes ble vers l’Occident. Vers dix heures du soir,
avaient particulièrement compliqué, l’arbalète nous aperçûmes une lumière briller, elle dispa-
ou bâton de Jacob. Il se composait d’une flè- rut rapidement pour de nouveau se montrer à
che de bois graduée sur laquelle coulissait une plusieurs reprises. L’Amiral ordonna aux na-
équerre double appelée marteau. Cela nous vires de ferler* les voiles et de mettre en pan-
donnait la hauteur de l’astre au-dessus de ne* jusqu’au lever du soleil. Mon chef pilote
l’horizon. Ce n’était pas très juste, mais nous me demanda de rejoindre le nid de pie* et de
n’avions que cela. La longitude était estimée, tenter d’apercevoir quelques indices terrestres.
nous connaissions la théorie du transport de Le 12 octobre 1492, à deux heures du ma-
l’heure, mais tout ceci n’était pas fiable. Nous, tin, je criai : « TERRE ! » Nous entonnâmes
les pilotes des grandes découvertes, étions un Te Deum et un Gloria in excelsis ; le canon
aussi cartographes, nous relevions les contours tonna. Nous avions réussi à rejoindre les In-
des côtes et prenions une foule de renseigne- des. L’Amiral donna le nom de San Salvador à
ments. Chaque pilote apportait sa contribution cette étendue plate et sans aucune montagne,
et petit à petit les cartes prenaient forme. Pour certainement une île. Le 3 mars 1493, nous
le moment, depuis les Canaries tout était resté étions de retour à Baiona près de Vigo en
en blanc. Le 14 septembre, nous vîmes deux Espagne ; nous apportions la bonne nouvelle
oiseaux qui volaient autour des navires. Le de la découverte du Nouveau Monde ! Je dé-
jour suivant nous pouvions voir à la surface de barquai riche de cet incroyable voyage et vêtu
l’eau, de grandes touffes d’herbes flottantes, de ma veste en velours.
elles semblaient venir de l’Ouest. Le capitaine
Martin Alonso Pinzón de La Pinta, mon navi- René Moniot Beaumont
re, de loin le meilleur des trois, espérait bien Septembre 2018
découvrir la terre promise le premier. Les
indices d’une côte proche se multipliaient. • Noliser : louer, prendre une location. • À la
Mais rien ! De jour en jour les équipages cardan : Système de suspension dans lequel la
étaient fort désappointés. À mesure que le position de l’objet suspendu n’est pas affectée
temps s’écoulait, l’impatience des navigateurs par les mouvements de son support. • Calfats :
augmentait. Les caravelles, fatiguées et avec rendre étanche une coque en bois. • Béhe-
de jour en jour un grand besoin de réparer les moth*: animal mythique présenté comme le
avaries dues à la longueur du voyage, glis- symbole du mal. • et Léviathan : monstre ma-
saient sur les flots à perte de vue. J’avais mê- rin de la mythologie phénicienne. • Maravé-
me entendu certains membres d’équipage dis : ancienne monnaie espagnole de la fin du
proposer de jeter cet étranger de Colomb par- Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle. • Ferler :
dessus bord. Colomb, inflexible malgré les relever une voile pli par pli et la fixer sur une
menaces de mutinerie et de retour au pays, vergue. • Nid de pie : poste d’observation fixé
refusait de changer sa route. Nous commen- sur un mât de caravelle.
cions à voir des branches de roseau et d’arbres

La Gazette des Pontons N° 95 page 22