Page 6 - Fable Première (de la Fontaine)
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Au sortir du séminaire, La Fontaine mena, dans
               la  maison  paternelle,  cette  vie de  désœuvrement et de
               plaisirs qui énerve, surtout en province, les jeunes gens
               de famille. Pour le ranger au devoir, on le maria, et son
               père lui donna la survivance de sa charge. Il avait alors
               vingt-six ans, et le démon de la poésie n'était pas encore
               venu. La Fontaine ne se pressa jamais.


                      Une ode de Malherbe, récitée par hasard devant
               lui,  éveilla  le  goût  de  la  poésie  dans  son  âme,  que  le
               plaisir et la paresse s'étaient seuls partagée jusqu'alors.
               Il lut  avec  transport  Malherbe  tout  entier,  et  tâcha  de
               l'imiter ; mais Malherbe, Malherbe lui-même aurait gâté
               La  Fontaine,  si  deux  amis,  Pintrel  et  Maucroix,  ne
               l'eussent  conduit  à  la  lecture  des  vrais  modèles.  La
               Fontaine a fait lui-même l'aveu de ces tâtonnements de
               sa muse. Platon et Plutarque, parmi les anciens, furent
               ses  auteurs  de  prédilection  ;  il  les  lisait  dans  des
               traductions, car il n'a jamais su le grec ; Horace, Virgile
               et Térence qu'il put aborder directement le charmèrent :
               entre les modernes, il s'attacha de préférence à Rabelais,
               à Marot, à Des Periers, à Mathurin Regnier et à d'Urfé
               dont l'Astrée faisait ses délices.


                      Le mariage ne fixa pas l'inconstance de ses goûts.
               Marie Héricart, qu'on lui fit épouser en 1647, avait de la
               beauté et de l'esprit, mais elle manquait de ces qualités
               solides,  amour  de  l'ordre  et  du  travail,  fermeté  de
               caractère, qui auraient subjugué et discipliné son mari.
               Pendant qu’elle lisait des romans, La Fontaine cherchait
               des distractions au dehors, ou rêvait soit à ses vers, soit
               à ceux de ses poètes favoris.
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