Page 8 - Fable Première (de la Fontaine)
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naturels, et son aversion pour eux n'a jamais manqué
l'occasion d'éclater.
De l'humeur dont il était, La Fontaine devait
saisir avec empressement l'occasion de s'éloigner de sa
famille et de Château-Thierry, qui n'était plus pour lui
qu'un tombeau. La Fontaine a déjà plus de quarante
ans, et à part sa froide comédie imitée de Térence, et
l'admirable élégie sur Fouquet, ce n'est encore qu'un bel
esprit aimable et un poète de société. Le talent
désormais reconnu et apprécié de La Fontaine l'aurait
désigné aux bienfaits de Louis XIV, qui allaient au-
devant du mérite, et souvent même de la médiocrité
littéraire, si son genre de vie peu régulier et le caractère
de ses dernières poésies n'eussent éloigné la sympathie
du monarque et du rigide Colbert, dispensateur de ses
libéralités. Le premier recueil de fables, composé de six
livres, parut en 1668, sous le modeste titre de Fables
d'Ésope, mises en vers par M. de La Fontaine ; il était
dédié au Dauphin.
L'imprévoyance de La Fontaine devait tenir un
peu à sa confiance dans le dévouement de ses amis, qui,
du reste, ne lui manqua jamais. Lorsque la mort vint lui
enlever la protection de la duchesse d'Orléans, il fut
aussitôt recueilli par Mme de La Sablière, dont la
générosité pourvut à tous ses besoins, et dont la
délicatesse prévint tous ses désirs. C'est sans doute la
reconnaissance qu'elle lui inspirait qui arracha du cœur
de La Fontaine ces vers que tant d'autres ont pu depuis
répéter avec amertume : qu'un ami véritable est une
douce chose ! etc. L'assimilation des hommes et des
bêtes y est complète, et cette étrange épopée tire son
intérêt de la perpétuelle allusion que nous venons de