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INTERNATIONAL 11

Dimanche 17 Novembre 2019
Acqua Alta à Venise

LA SÉRÉNISSIME TOUTE GONDOLÉE

Après la crue de mardi et alors que de nouvelles marées hautes sont attendues ce week-end, les Vénitiens, amers et désabusés,
s’inquiètent des conséquences du réchauffement climatique.
a trêve n’a pas duré. Après la
marée exceptionnelle de
L1,87 mètre qui, dans la nuit
de mardi à mercredi, a submergé
presque toute la ville, Venise s’est
réveillé vendredi à l’aube au son
d’une nouvelle alerte à l’«acqua
alta». Quatre coups de sirène mo-
dulés résonnant dans la pénom-
bre des canaux pour annoncer
une montée des eaux supérieure
à 140 centimètres en fin de mati-
née. Dès 9 heures, la police muni-
cipale évacue les touristes de la
place Saint-Marc déjà inondée, les
vaporettos restent arrimés aux
quais et les rares commerçants
qui ont ouvert leurs boutiques
tentent, le plus souvent en vain,
de freiner la pénétration de l’eau.

Inquiétude et colère

«Tu as encore oublié de fermer le centre des prévisions des marées laires comme peut le faire une l’explosion du tourisme, qui fragi- retards dus à des problèmes tech-
robinet», lance un réceptionniste comme un oracle redouté. Pour la coulée de boue», pointe le profes- lise l’ensemble de la cité». niques mais aussi à un énorme
d’hôtel à son collègue dans un fin de semaine, l’application an- seur Mario Piana, en charge des Président de la municipalité (or- scandale de corruption, le Mose,
sourire amer. Car si les Vénitiens nonce de nouvelles marées travaux de restauration de l’édi- ganisme responsable de l’admi- qui a déjà coûté 5,5 milliards d’eu-
ont toujours su composer avec les hautes, jusqu’à 130 centimètres. fice. «L’eau arrive, puis elle se re- nistration) de Venise et opposant ros, est «prêt à 93 %» a assuré le
éléments de la lagune, ils ne ca- «La répétition des marées excep- tire. On peut donc croire que les (centre gauche) au maire de président du Conseil, Giuseppe
chent pas, cette fois, leur désarroi. tionnelles en un espace-temps problèmes sont écartés. Mais en droite Luigi Brugnaro, Giovanni Conte. Le projet pharaonique de-
Certes, dès que l’eau se retire, ils aussi court est une nouveauté, fait, c’est comme une personne ir- Andrea Martini dénonce lui aussi vrait finalement être achevé fin
pompent, balaient, assèchent les constate le météorologue Paolo radiée. En apparence, elle se porte la monoculture du tourisme. Et 2021. «Au point où on en est, il
ruelles et les rives des canaux Canestrelli, ancien directeur du bien, mais ensuite elle perd ses notamment la décision des auto- vaut mieux le terminer» , concède
dans une admirable solidarité. centre de prévisions de Venise. En cheveux, puis ses dents. L’acqua rités de consolider et donc d’élar- Giovanni Andrea Martini, qui stig-
Mais aujourd’hui, l’inquiétude le 1966, on avait assisté à un épi- alta, c’est la même chose, car le gir le canal pétrolier vers le port matise toutefois «une vision du
dispute à la colère. sode extraordinaire, mais on peut sel marin corrompt le marbre, la de Marghera, qui devrait permet- passé où l’on pensait résoudre les
Poussant, non loin du pont du craindre qu’avec la hausse des base des colonnes, les mo- tre de faire accoster les paquebots problèmes avec des grands chan-
Rialto, un chariot rempli de boîtes températures et du niveau de la saïques», détaille-t-il. géants qui depuis des années tra- tiers.
en plastique pour sauver l’essen- mer, ces acque alte risquent de versent dangereusement la ville : Si les prévisions sur la montée
tiel, Francesca Zani avait, jeudi devenir la norme. L’autre singula- Digues flottantes «Les travaux pour le canal ont eu des mers se confirment, il faudra
soir, la gorge nouée : «Il y a beau- rité des derniers jours est la vio- pour effet d’accélérer l’entrée de monter les digues plus de 300 fois
coup de gens qui ont tout perdu. lence des vents et la rapidité de la Dans les ruelles, les touristes d’au- l’eau dans la lagune. J’espère que par an, ce qui signifie bloquer la
L’acqua alta de mardi, avec ses ra- montée des eaux. Il y a une extré- tomne, galoches en plastique aux l’acqua alta dramatique de ces circulation de l’eau dans la lagune
fales de vent et la vitesse des misation du climat due au chan- pieds, ne semblent pas se soucier derniers jours servira d’électro- et décréter sa mort.» Auteur du
eaux, a tout emporté. Même les gement global et Venise en fait outre mesure de la crue. «C’est choc pour la ville. Si on ne change livre Venezia è laguna, Roberto
rats n’ont pas eu le temps de fuir l’expérience.» Jeudi, le gouverne- amusant» , pouffent trois jeunes pas, Venise risque de devenir Ferrucci met en garde : «Le chan-
et se sont noyés.» Cette brune vé- ment a déclaré l’état d’urgence et Coréennes entre deux selfies à comme Disneyland. Mais pour gement climatique est en œuvre
nitienne insiste d’une voix annoncé qu’il débloquerait 20 l’entrée de la place Saint-Marc. A l’instant, la seule réponse de la et la Sérénissime risque d’en être
blanche : «La ville n’avait pas millions d’euros «pour les inter- proximité, Roberto, un architecte mairie, c’est le Mose.» la première victime. Donc c’est à
connu un tel désastre depuis no- ventions les plus urgentes». Mais qui a fait ses études à Venise, fait A Venise, ces quatre lettres provo- partir de Venise qu’il faut montrer
vembre 1966 [lorsque la grande les dégâts sont chiffrés à plusieurs part au contraire «d’un sentiment quent le débat. Acronyme de Mo- qu’il est possible d’inverser la ten-
crue avait atteint le record de 194 «centaines de milliers d’euros». de rage. dule expérimental dance, à savoir réglementer le
centimètres, ndlr]. Mais avec le Sans compter les dommages aux C’est comme si l’avertissement de électromécanique, le «Moïse» (en tourisme de masse, introduire des
changement climatique, il fallait monuments historiques. novembre 1966 n’avait servi à italien) est en construction depuis vaporettos électriques, reconvertir
s’y attendre. C’est comme si nous Après la crue de mardi, la basi- rien. On aurait pu mieux entrete- 2003. Il devrait, au moyen de 78 le port pétrolier de Marghera, in-
avions vécu l’annonce d’une apo- lique Saint-Marc a été inondée nir les canaux, rehausser tous les digues flottantes, fermer la lagune terdire les gros paquebots.» En
calypse.» S’ils ne sont pas tous sous un mètre d’eau et la crypte points inondables de la ville, en cas de montée de la mer clair, retrouver la tradition d’une
aussi catastrophistes, les habi- et le presbytère ont été complè- comme cela a été fait dans cer- Adriatique jusqu’à 3 mètres de ville qui, durant les siècles, a tou-
tants de la Cité des Doges consul- tement noyés. «L’acqua alta ne tains quartiers. De manière géné- haut afin de «protéger tout le jours su s’adapter à une nature
tent désormais frénétiquement le produit pas des dégâts spectacu- rale, il aurait fallu éviter bassin» . Après d’innombrables hostile.
Sri Lanka
L’autoritarisme, favori de la présidentielle

Sept mois après les attentats de Colombo, droits de l’homme. magasins ont tiré le rideau et une dizaine crétaire d’Etat à la Défense lors de la prési-
la présidentielle de ce samedi pourrait per- La petite esplanade de la ville de Nattan- de grandes affiches colorées sont plaquées dence de son frère, Mahinda Rajapakse -
mettre à Gotabhaya Rajapakse, frère de diya, à 60 kilomètres de Colombo, déborde sur leur devanture. Elles mettent en valeur qui occupait aussi le poste de ministre de
l’ancien président, d’arriver au pouvoir. A la de monde. En cette chaude fin de matinée, un homme aux cheveux poivre et sel, sou- la Défense - et il a donc contribué à la vic-
tête du pays jusqu’en 2015, leur clan est ré- sous le soleil tropical, quelque 200 per- riant. C’est celui que tout le monde est venu toire militaire contre la rébellion des Tigres
puté pour ses méthodes brutales. Un pos- sonnes se serrent devant une estrade sur- voir : Gotabhaya Rajapakse. L’homme de 70 de libération de l’Eelam tamoul, en 2009,
sible retour qui effraie les militants des montée d’un dôme. Sur les côtés, les ans est connu des Sri Lankais : il était le se- après vingt-six ans de guerre civile.