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             Dimanche 17 Novembre 2019
                                                            Soldats américains en Syrie


                   POUR LE PÉTROLE OU CONTRE L’EI ?



                    Après avoir ordonné le retrait des soldats américains de Syrie, Washington en a renvoyé plusieurs centaines dans l’est du pays.
                                                Le président Trump et le Pentagone invoquent des raisons différentes.
                   ui croire ? Le président américain,
                   Donald Trump, ou les haut gradés
            Qdu Pentagone ? Mercredi, alors
            qu’il reçoit son homologue turc, Recep
            Tayyip Erdogan, pour s’entretenir, entre au-
            tres, du redéploiement de soldats améri-
            cains dans l’est de la Syrie, Trump déclare :
            «Nous gardons le pétrole. Nous avons le
            pétrole. Le pétrole est sécurisé. Nous avons
            laissé des troupes seulement pour le pé-
            trole.»
            Le 8 novembre, le vice-amiral William
            Byrne, un responsable de l’état-major amé-
            ricain, affirmait pourtant : «Je ne dirais pas
            que la mission est de sécuriser les champs
            de pétrole. La mission est de vaincre l’Etat
            islamique. Sécuriser les champs de pétrole
            est une tâche subordonnée à cette mis-
            sion.» Une position, semble-t-il, partagée
            par le chef de la diplomatie, Mike Pompeo.
            «Nous devons continuer le combat contre
            l’Etat islamique. Les Etats-Unis vont conti-  Blanche avait annoncé leur retrait.  le Moyen-Orient, au contraire, même»,  Plus qu’un soutien aux forces kurdes et
            nuer à diriger la coalition, et le monde,  «Franchement, risquer la mort de soldats  confirme Elie Tenenbaum, chercheur à l’Ins-  arabes qui ont combattu contre l’EI aux
            dans cet effort essentiel à notre sécurité»,  pour le pétrole de Deir el-Zor, je ne com-  titut français des relations internationales  côtés de la coalition, l’état-major américain
            a-t-il déclaré jeudi.               prends pas. Les champs sont en fin d’ex-  (Ifri).                       sait qu’il suffit de quelques centaines de
            Trump est coutumier des déclarations inco-  ploitation, cela ne vaut absolument pas le  Comment, dès lors, expliquer le redéploie-  soldats pour empêcher le régime syrien et
            hérentes et des revirements stratégiques.  coup», dit un expert du secteur pétrolier  ment de troupes «pour le pétrole», selon  ses alliés russes et iraniens de reconquérir
            Mais rarement à ce point. C’est lui, seul, qui  qui a travaillé en Syrie jusqu’en 2012. Selon  les termes du président américain, qui a  l’est du pays. «C’est un moyen pour Wash-
            a décidé le 6 octobre de retirer les troupes      lui, le pétrole se concen-  aussi promis de «mettre fin aux guerres  ington d’éviter que les choses se passent
            américaines de l’Est syrien.                      tre dans des «greniers»,  sans fin» ? «Trump et le pétrole, c’est une  complètement sans lui. Une sorte de pion
                                        «Explorations»
            Il n’avait averti ni l’Otan ni                    des poches séparées des  vieille histoire. Il suffit de se rappeler ses  minimal», explique Elie Tenenbaum.
            les combattants locaux alliés des Etats-  principaux gisements. «Cela signifie qu’il  déclarations lors de la guerre en Libye :  Les forces américaines empêcheront aussi
            Unis, les Forces démocratiques syriennes,  faut les forer directement, cela nécessite  "Est-ce qu’on y va pour le         que les jihadistes de l’Etat
            qui luttent contre l’Etat islamique. Ce retrait  beaucoup d’explorations.» Une exploitation  pétrole ? Sinon, cela ne  «Pion»  islamique ne tentent de
            a permis à la Turquie de lancer une offen-  commerciale par une compagnie améri-  sert à rien." Il ne voit pas les intérêts sécu-  se réapproprier les hydrocarbures de l’Est
            sive le long de la frontière et a poussé les  caine est en outre inenvisageable, la Syrie  ritaires ou stratégiques, mais économiques.  syrien. L’organisation est affaiblie, elle a
            autorités locales kurdes à se rapprocher du  étant sous le coup de sanctions internatio-  Je ne sais pas si on lui a soufflé ou non  perdu son territoire, le «califat», et son chef,
            régime de Bachar al-Assad et de la Russie.  nales. Les installations, comme celle  d’envoyer des troupes dans les champs pé-  Abou Bakr al-Baghdadi, tué dans un raid
            Mais trois semaines plus tard, le même  d’Omar Field, ont en outre été détruites  troliers, mais le fait est que l’argument lui a  des forces spéciales américaines le 26 oc-
            Trump confirme que des troupes sont ren-  lors des combats et des bombardements  plu», poursuit Elie Tenenbaum.  tobre dans la province d’Idlib. Mais elle
            voyées un peu plus au sud, dans les pro-  ces deux dernières années pour chasser  Le Pentagone n’a jamais caché son hostilité  conserve des partisans, et cherche à se re-
            vinces de Deir el-Zor et de Hassaké, là où  l’Etat islamique de la région. «En Syrie, le  à un rapatriement des troupes. En décem-  financer. «Ne nous arrêtons pas mainte-
            se trouvent des champs pétroliers et ga-  pétrole ne constitue absolument pas une  bre 2018, le précédent ministre de la Dé-  nant. Faisons en sorte que l’EI ne revienne
            ziers. Le Pentagone a depuis affirmé qu’en-  perspective intéressante pour les Etats-  fense, Jim Mattis, avait démissionné après  plus jamais», a déclaré Pompeo jeudi.
            viron 600 soldats resteraient en Syrie. Ils  Unis. Ils sont déjà exportateurs. Ils ne cher-  que Trump l’avait une première fois or-  Trump ne cesse, lui, d’affirmer que l’EI est
            étaient moins d’un millier lorsque la Maison  chent pas à en importer davantage depuis  donné, sans finalement passer à l’acte.  vaincu à «100 %».
                                                        Terroristes étrangers détenus en Syrie
               Washington et les Européens étalent leurs divisions


            Les Etats-Unis et les Européens ont étalé  gion contre les forces kurdes, qui a fait  a insisté pour que les acteurs sur le terrain  "Nous sommes encore en train de retirer
            leurs divisions sur le sort des terroristes  craindre que les prisonniers ne parviennent  garantissent "à tout prix" leur "détention  les troupes du nord-est de la Syrie", a dé-
            étrangers détenus en Syrie, lors d'une réu-  à s'évader, a remis leur sort au cœur des  sûre et durable" afin "d'éviter qu'ils repar-  claré le ministre américain de la Défense
            nion jeudi au cours de laquelle Washington  préoccupations. "Nous pensons qu'il de-  tent dans le combat".   dans l'avion l'acheminant à Séoul, où il en-
            a tenté de rassurer ses alliés ébranlés par  vrait y avoir un sentiment d'urgence à les  La France tente notamment de négocier  tame jeudi une tournée en Asie. "Nous y
            les volte-face successives de Donald Trump.  rapatrier maintenant, tant qu'il est encore  avec Baghdad pour que la justice irakienne  aurons finalement entre 500 et 600 sol-
            "Les membres de la coalition doivent rapa-  temps", a prévenu le coordinateur de l'ac-  puisse s'en charger. "Il serait irresponsable  dats", a-t-il ajouté. Alors qu'on lui deman-
            trier les milliers de combattants terroristes  tion contreterroriste des Etats-Unis, Nathan  de la part d'un pays d'attendre de l'Irak  dait si ce nombre comprenait les quelque
            étrangers actuellement en détention, et les  Sales.                     qu'il résolve ce problème à sa place", a ré-  200 soldats déployés sur la garnison d'Al-
            juger pour les atrocités qu'ils ont com-  Mais les participants se sont quittés sur un  pondu Nathan Sales. "Demander à des  Tanf (sud), à la frontière avec la Jordanie, M.
            mises", a martelé le chef de la diplomatie  constat de désaccord. La demande améri-  pays de la région d'importer les combat-  Esper a expliqué qu'il ne parlait que du
            américaine Mike Pompeo à l'ouverture de  caine se heurte au refus de nombreux pays,  tants étrangers d'un autre pays, et de les  nord-est de la Syrie, où M. Trump a désor-
            cette rencontre à Washington avec ses ho-  dont la France, de reprendre leurs ressor-  juger et écrouer là-bas, ce n'est pas une op-  mais chargé le Pentagone de sécuriser les
            mologues de la coalition internationale  tissants qui ont combattu dans les rangs  tion viable", a insisté le responsable améri-  champs de pétrole. Le président Donald
            contre le groupe terroriste Etat islamique  terroristes, pour ne pas heurter une opinion  cain, balayant aussi les hypothèses de  Trump a annoncé le 6 octobre le retrait des
            (EI).                               publique échaudée par les attentats des  tribunaux internationaux. Par ailleurs,  1.000 soldats américains déployés dans le
            Le gouvernement américain demande de  dernières années en Europe. Le chef de la  Washington a décidé de maintenir finale-  nord-est de la Syrie, ouvrant le voie à une
            longue date à tous les pays de reprendre  diplomatie française Jean-Yves Le Drian a  ment quelque 600 militaires en Syrie, en  offensive militaire turque visant les forces
            les milliers de terroristes qui se trouvent  d'ailleurs réaffirmé à Washington que les  dépit de la volonté affichée par le président  kurdes, alliées de la Coalition internationale
            dans les prisons kurdes du nord-est syrien.  terroristes français devaient "être jugés au  Donald Trump de cesser les "guerres sans  dans la lutte contre les terroristes du
            Mais la récente offensive turque dans la ré-  plus près des crimes qu'ils ont commis". Il  fin", selon le chef du Pentagone Mark Esper.  groupe Daesh.
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