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Les éhcappées litteraires
BELLE DU SEIGNEUR
Albert Cohen PAR JORDAN Hairabedian
Belle du Seigneur, c’est le roman de la passion, aussi brève et brûlante soit-elle. C’est le jeu des
égos, de la domination, de la possession de l’autre, de la reconnaissance, de la quête de son identité
par autrui. C’est aussi une explosion de sentiments et une poésie de la sensualité. Albert Cohen, auteur
suisse francophone, est reconnu dans son talent en 1968 à la parution de ce livre. C’était il y a 50 ans.
Adrien Deume, un opportuniste travaillant à la Société des Nations, est marié à l’élégante Ariane. Obnubilé
par le pouvoir et l’influence du sous-secrétaire général Solal, il ne pense qu’à briller en société. Cependant,
cette quête s’avère vaine : son prénom est mutilé d’une lettre nécessaire pour former celui du grand empereur
romain Hadrien. Il ne peut que récolter les fruits de la déception
et de l’humiliation. Solal, grand séducteur conscient de ses atouts,
se donne pour mission de sédui- re Ariane. En envoyant le pauvre
Deume en mission diplomatique, le terrain est libre. Par des straté-
gies de persuasion et d’exploita- tion des failles de la douce, Ariane
succombe et devient la Belle de son Seigneur. Si elle dominait son
mari, l’amant prend maintenant le dessus, tout en s’éprenant d’elle.
« Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et
à aimer peu, et il leur faut des en- tretiens et des goûts communs et des
cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. » Par
ces mots, la passion jaillit. Les corps se mêlent, s’enlacent, et
forment un tout. L’amour des dé- buts, l’amour exalté, l’amour pas-
sionné. Au retour du mari oublié, Ariane avoue son adultère et suit
sa moitié parcourir le monde. Mais en se coupant de tout lien
social et en ne vivant qu’en huis- clos, l’ennui se montre et fait des
ravages. La passion révèle alors son sens étymologique latin :
patior, souffrir. C’est le début d’une déchéance qui ne peut que
finir dans une tragédie digne de Phèdre ou d’Anna Karénine.
Ce roman psychologique ne sau- rait que mieux servir de guide dans
les passions amoureuses. Au-delà la fiction, la réalité des relations
humaines y est dépeinte. L’hom- me est un animal social comme le
dit Aristote et s’isoler dans l’amour ne serait qu’être une entrave à l’es-
sence humaine. De plus, la ques- tion du comment aimer se pose.
Solal et Ariane aiment à l’extrême, centrant l’univers autour de leur
histoire. Il n’y a alors plus de jeu amoureux, de mystères à découvrir chez l’autre. Et ne faut-il pas en per-
manence une part d’inconnu et d’inattendu chez l’autre pour pouvoir continuer à désirer, chérir, aimer ?
Cet extrait montre à merveille ce feu passionnel qui perd à terme son souffle : « Elle lui tendit les mains. Il les prit,
et il plia le genou devant elle. Inspirée, elle plia le genou devant lui, et si noblement qu’elle renversa la théière, les
tasses, le pot à lait et toutes les rondelles de citron. Agenouillés, ils se souriaient, dents éclatantes, dents de jeunesse.
Agenouillés, ils étaient ridicules, ils étaient fiers et beaux, et vivre était sublime. Baiser qui n’était plus qu’un
rite, pensa-t-il. Ô le baise main sacré du premier soir au Ritz, ce don enthousiaste de l’âme. Devenus protocole et
politesses rituelles, les mots d’amour glissaient sur la toile cirée de l’habitude. Elle toussa, et il la vit si lamen-
table... avec son imperméable, sa combinaison , ses bas écroulés, son nez grossi, ses paupières enflées de larmes, ses
beaux yeux cernés de bleu malade. Sa chérie, sa pauvre chérie. Ô maudit amour des corps, maudite passion. »
dU LIVRE AU FILM : En 2012, Glenio Bonder adapte l’oeuvre de Cohen à l’écran.
Jonathan Rhys-Meyers y incarne le Seigneur ; Natalia Viodanova la Belle. Une bonne
adaptation permettant de comprendre ce drame psychologique et la manipulation des
sentiments.