Page 32 - Nouvel Aixhaustif - Demande de validation pour impression reprographie non compressed
P. 32

lE nouvel aix a LU
                                               Les éhcappées litteraires




                           BELLE DU SEIGNEUR








                                                 Albert Cohen                                PAR JORDAN Hairabedian




        Belle  du  Seigneur,  c’est  le  roman  de  la  passion,  aussi  brève  et  brûlante  soit-elle.  C’est  le  jeu  des
        égos,  de  la  domination,  de  la  possession  de  l’autre,  de  la  reconnaissance,  de  la  quête  de  son  identité
        par autrui. C’est  aussi  une  explosion  de sentiments  et une poésie de  la sensualité. Albert  Cohen,  auteur
        suisse francophone, est reconnu dans son talent en 1968 à la parution de ce livre. C’était il y a 50 ans.


        Adrien Deume, un opportuniste travaillant à la Société des Nations, est marié à l’élégante Ariane. Obnubilé
        par le pouvoir et l’influence du sous-secrétaire général Solal, il ne pense qu’à briller en société. Cependant,
        cette quête s’avère vaine : son prénom est mutilé d’une lettre nécessaire pour former celui du grand empereur
        romain  Hadrien.  Il  ne  peut  que                                    récolter  les  fruits  de  la  déception
        et de l’humiliation.   Solal, grand                                    séducteur conscient de ses atouts,
        se donne pour mission de sédui-                                        re  Ariane.  En  envoyant  le  pauvre
        Deume en mission diplomatique,                                         le terrain est libre. Par des straté-
        gies de persuasion et d’exploita-                                      tion des failles de la douce, Ariane
        succombe  et  devient  la  Belle  de                                   son Seigneur. Si elle dominait son
        mari, l’amant prend maintenant le                                      dessus,  tout  en  s’éprenant  d’elle.
        « Les autres mettent des semaines                                      et des mois pour arriver à aimer, et
        à aimer peu, et il leur faut des en-                                   tretiens et des goûts communs et des
        cristallisations. Moi, ce fut le temps                                 d’un battement de paupières. » Par
        ces  mots,  la  passion  jaillit.  Les                                 corps  se  mêlent,  s’enlacent,  et
        forment un tout. L’amour des dé-                                       buts,  l’amour  exalté,  l’amour  pas-
        sionné.   Au retour du mari oublié,                                    Ariane avoue son adultère et suit
        sa  moitié  parcourir  le  monde.                                      Mais  en  se  coupant  de  tout  lien
        social et en ne vivant qu’en huis-                                     clos, l’ennui se montre et fait des
        ravages. La passion révèle alors                                       son  sens  étymologique  latin  :
        patior,  souffrir.  C’est  le  début                                   d’une déchéance qui ne peut que
        finir  dans  une  tragédie  digne                                      de  Phèdre  ou  d’Anna  Karénine.
         Ce roman psychologique ne sau-                                        rait que mieux servir de guide dans
        les passions amoureuses. Au-delà                                       la  fiction,  la  réalité  des  relations
        humaines y est dépeinte. L’hom-                                        me est un animal social comme le
        dit Aristote et s’isoler dans l’amour                                  ne serait qu’être une entrave à l’es-
        sence humaine. De plus, la ques-                                       tion  du  comment  aimer  se  pose.
        Solal et Ariane aiment à l’extrême,                                    centrant  l’univers  autour  de  leur
        histoire. Il n’y a alors plus de jeu amoureux, de mystères à découvrir chez l’autre. Et ne faut-il pas en per-
        manence une part d’inconnu et d’inattendu chez l’autre pour pouvoir continuer à désirer, chérir, aimer ?
        Cet extrait montre à merveille ce feu passionnel qui perd à terme son souffle : « Elle lui tendit les mains. Il les prit,
        et il plia le genou devant elle. Inspirée, elle plia le genou devant lui, et si noblement qu’elle renversa la théière, les
        tasses, le pot à lait et toutes les rondelles de citron. Agenouillés, ils se souriaient, dents éclatantes, dents de jeunesse.
        Agenouillés, ils étaient ridicules, ils étaient fiers et beaux, et vivre était sublime. Baiser qui n’était plus qu’un
        rite, pensa-t-il. Ô le baise main sacré du premier soir au Ritz, ce don enthousiaste de l’âme. Devenus protocole et
        politesses rituelles, les mots d’amour glissaient sur la toile cirée de l’habitude. Elle toussa, et il la vit si lamen-
        table... avec son imperméable, sa combinaison , ses bas écroulés, son nez grossi, ses paupières enflées de larmes, ses
        beaux yeux cernés de bleu malade. Sa chérie, sa pauvre chérie. Ô maudit amour des corps, maudite passion. »

                dU LIVRE AU FILM : En 2012, Glenio Bonder adapte l’oeuvre de Cohen à l’écran.
                Jonathan Rhys-Meyers y incarne le Seigneur ;  Natalia Viodanova la Belle. Une bonne
                adaptation permettant de comprendre ce drame psychologique et la manipulation des
                sentiments.
   27   28   29   30   31   32   33   34   35   36   37