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KOÏMANIA
         Passionnés  de  longue  date,  ces  Une longue histoire               naissance à un hoo aka, une koï aux
         lignes  ne  vaudront pour  vous que                                   opercules rouges, étape qui fut suivie
         par quelques tournures au mieux, le   Allons donc par-là, visiter ces   de  l’apparition de  plusieurs  motifs  :
         reste  vous  le  connaissez.  Mais  vous   premiers temps,  heureux  profane,   menkaburi  (tête rouge) kuchibeni
         êtes  les  bienvenus  ! Osons  l’avouer,   heureux  de  partager ces  premiers   (Lèvres rouges)  zukinkaburi  (Front
         cet  article  est  un début  de  chemin,   pas avec qui le voudra ! Et entamons   rouge), sarasa  (taches  rouges sur le
         un éveil  comme vous-même  et  tant   l’histoire de  la manière dont on en   dos).
         d’autres l’ont connu auparavant : un   transmet bien  d’autres  aux esprits
         éveil par les couleurs, les reflets, les   tout  juste  armés de  leur  seule   Tout le monde s’accorde pour dire que
         mouvements… - que sais-je encore ?   curiosité : “ Il était une fois… ”.   c’est durant l’ère Meiji, entre 1870 et
         les  lenteurs  sereines  peut-être  - des                             1912 qu’a été fixé le phénotype kohaku
         carpes  japonaises.  Il faut  bien  un   Il était  une  fois  une  carpe  sauvage,   –  phénotype  : l’aspect  extérieur,
         début.  Et  comme  “  tout  commence   Cyprinus  carpio, bleue  et noire,   par  opposition  à  la composition
         par une kohaku ”, allons par-là. Tout   l’asagi magoi, lointainement venue   génétique  ou génotype,  qui peut
         commence  par elle,  dit-on  : pour   de  Chine. Ou  peut-être  dirons-nous   inclure des caractères inexprimés,
         quelle raison ? Parce que la kohaku   qu’il était  trois  fois  en  faisant  une   qui n’apparaissent donc pas. On
         fut  le  premier objet  de  sélection  ?   place aussi à deux autres variétés de   considère que l’ancêtre direct de la
         Parce que son aspect  est simple,   carpes sauvages, Tetsu magoi (“ carpe   kohaku moderne est une obtention de
         sobre, abordable  au regard frais  ?   de  fer  ”)  et  Doro magoi  (“  carpe   Kunizo Hiroi (autre nom  : Gosuke).
         Trop, paraît-il, pour certains qui lui   de  boue  ”)  –  ce  sont  tous  trois  des   Vers 1888, Kunizo Hiroi acheta une
         préfèrent  bien vite des  carpes  plus   poissons  à écailles  (wagoi), la carpe   hachi hi – une  femelle  à tête  rouge
         colorées,  plus  typées…  Mais  la  bête   cuir européenne sans écaille n’ayant   (hi = marque) - qu’il croisa avec un
         offre ce beau paradoxe d’être aussi le   été  introduite  que plus tard dans   sakura  kana  porteur d’un motif en
         poisson de la maturité épurée, prisé   l’Empire lointain du Soleil Levant…  forme de fleur de cerisier.
         par les amateurs avertis : “ tout finit   De là, l’histoire est celle de patients   Ce  seraient  là  l’Eve  et  l’Adam  des
         par une kohaku ”…                  croisements par des paysans séduits   koï actuelles  – une histoire où il y
                                            par des taches rouges – “ ils eurent   eut  donc, décidément,  beaucoup
         De fait, il faut comprendre que    beaucoup  d’enfants  ”  intervient au   d’enfants…
         le  commencement  évoqué  ici  est   milieu  de  l’histoire déjà. Le poisson   La  sélection  intensive a commencé
         d’abord  celui  de la passion pour les   rouge même y a eu un rôle. Et c’est   vers 1890, des carpes ont été exposées
         koï,  passion qui sans cesse  évolue  :   ainsi que de l’asagi magoi, on a passé   à Tokyo en 1914, mais les premières
         elle s’éveille bien souvent, c’est vrai,   à la konjo asagi, bleue  très  sombre,   lignées  dignes  de ce nom  ne sont
         avec une  kohaku et  cette  sobriété   colorée  de  rouge  en dessous  de  sa   apparues que vers 1930/1940 quand
         d’un blanc taché de rouge, puis s’en   ligne latérale.                un certain Tomoin hérita des koï de
         éloigne  pour goûter  à des  poissons   La kohaku s’annonçait, et se précisa   Gosuke.
         plus  sophistiqués,  avant  finalement   par la sélection,  petit  à petit,  à   Deux lignées  ont “  surgi  ” à cette
         d’y revenir…  Pour ce qui est  de   partir  de la konjo,  des individus   époque  : Tomoin croisa une de  ses
         l’autre “ commencement ”, celui des   arborant  du rouge au-dessus  de la   femelles  avec  un  mâle  Monjiro,
         koï,  certes  la  kohaku  y  figure  à  une   ligne latérale -  “ je ne vous dis pas   initiant la lignée  Yagozen  au hi
         place prééminente, mais elle est née   le  boulot  !  ”, me résume  sobrement   Vermillion  avec  des  contours
         d’autres  carpes  évidemment,  et  si   Jean-Louis.  En  effet,  à  mesurer  en   indisctincts. Par  ailleurs, de  deux
         tout  commence  par elle,  c’est grâce   décennies ! En même temps, le blanc   koï  de Tomoin  vendues à Buketa
         aux  patients  efforts  de  sélection,   s’immisçait à coup de  mutations   sortirent des  kohaku  à la peau
         sur des décennies, dans le Japon du   dûment  entretenues.  Quelque  part   blanche et aux marques hi violacées.
         XIXe siècle et de la première moitié   vers 1830,  un croisement  donna   D’autres lignées ont suivi…
         du XXe…
                                                                               Portrait(s) de kohaku

                                                                               Mais laissons-là les généalogies diver-
                                                                               gentes,  dans une  histoire  dont  on
                                                                               s’en doute, nous n’avons retracé que
                                                                               quelques gros traits, et voyons donc
                                                                               ce qui est commun à toutes les koha-
                                                                               kus. Elles sont des koï blanches mar-
                                                                               quées de rouge (hi).
                                                                               Le blanc doit être pur et ne pas tirer
                                                                               sur le jaune, les marques doivent être
                                                                               nettes  - on appelle kiwa le contraste
                                                                               entre le rouge et le blanc.  Le rouge
                                                                               présente  deux  nuances, le  violacé
                                                                               qui est considéré comme non élégant
                                                                               et le brunâtre, presque translucide,
                                                                               nuance préférée chez les Japonais.

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