Page 65 - Lux in Nocte 3
P. 65

Marcel Otte


                                  l’apparitiOn

                         du phénOMène religieux




                         u  sens  strict,  il  n’existe  pas  de  religion  sans  dieu.
                         Le concept de « religion » a en effet été créé à une
                   A époque  historique  récente,  où  toutes  forces  méta-
                physiques étaient conçues comme des personnes aux compor-
                tements analogues à ceux des hommes. Ces religions ont donc
                institué un rapport entre les dieux et les hommes, et non un
                rapport entre les hommes eux-mêmes, comme on a parfois ten-
                dance à le croire. Pourtant, l’immense majorité des populations
                humaines ne possèdent pas cette personnalisation des forces
                mystiques : elles les organisent plutôt en mythologies, où des
                récits fondateurs expliquent le passé, justifient le présent et
                dictent les valeurs à respecter. Non seulement, ces systèmes
                mythologiques sont de fonctionnement universel aujourd’hui
                dans les régions restées « sauvages », mais aussi ils furent de
                tout temps la caractéristique de la conscience humaine, afin     64
                de consolider la solidarité collective par un référent ultime et
                partagé.
                   La  notion  classique  de  « religion »  correspond  donc  non
                seulement à une nécessité fondamentale de toutes humanités
                (il  serait  illusoire  et  dangereux  de  l’ignorer),  mais  elle  s’ap-
                plique uniquement à des sociétés particulières, là où les dieux
                existent, analogues aux hommes. C’est-à-dire dans les sociétés
                productrices qui assument leur propre destin, autant spirituel
                qu’alimentaire. Symétriquement, la notion de spiritualité et de
                mythologie est si bien ancrée dans l’esprit humain qu’elle en
                est « consubstantielle » : la conscience fabrique du divin afin de
                subsister, sans sombrer dans la folie et chaos. Et si notre civi-
                lisation croit pouvoir se dispenser d’un tel support métaphy-
                sique, cela indique simplement qu’elle en sous-estime la puis-
                sance : d’autres valeurs ont alors pris la place des structures



                                                                       87
   60   61   62   63   64   65   66   67   68   69   70