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Religions des oRigines


             apparemment intangibles, de les surmonter par l’imagination,
             par l’astuce et par la prévision. Vivre c’est défier. Cette prise de
             conscience progressive agit en rétroaction au rythme des suc-
             cès acquis l’un après l’autre et qui élargissent l’emprise effec-
             tive sur le monde. En réalité, seul importe le défi qui active la
             réflexion, et non le champ exploité dont la valeur n’est autre
             que rétrospective. L’évolution religieuse s’inscrit à l’intérieur
             de ces processus rétroactifs.
                Les données archéologiques témoignent de certaines acti-
             vités techniques. Elles révèlent aussi l’enchaînement combiné
             de gestes coordonnés, comme autant de fossilisations des apti-
             tudes à la pensée, à la prévision et à l’organisation des déplace-
             ments. Ainsi la taille des bifaces ou des outils, façonnés selon la
             technique dite « Levallois », suppose une série de chaînes opé-
             ratoires complexes requérant des capacités d’anticipation, de
             planification et de conceptualisation. Dans les mêmes temps,
             étalés sur des centaines de millénaires, apparaissent d’autres
             témoignages  d’activités  conceptuelles,  comme  la  récolte  de
             minéraux, de fossiles ou de colorants. Dans de nombreux sites
             datant du Paléolithique moyen, les hommes ont récolté des fos-
             siles ou des roches d’aspect étrange. Les calottes crâniennes
             humaines se trouvent particulièrement fréquentes, comme si,
             à  l’instar  de  nombreux  groupes  humains  vivant  aujourd’hui,
    67       les  parties  céphaliques  possédaient  perpétuellement  une
             valeur symbolique privilégiée. Des traits incisés sur des osse-
             ments manifestent l’idée de décomptes. Portées sur les restes
             humains, ces incisions évoquent alors des activités rituelles.

             Les sépultures, comme preuves de spiritualité
                La plus spectaculaire de ces activités rituelles fut illustrée
             par  les  sépultures,  attestées  depuis  une  centaine  de  millé-
             naires.  Les  défunts  furent  déposés  en  fosses  et  leurs  corps,
             accompagnés  d’offrandes  symboliques,  furent  recouverts  et
             protégés.  Quelle  que  puisse  avoir  été  la  variété  des  motiva-
             tions religieuses originales, un fait anthropologique fondamen-
             tal demeure : le destin de l’homme ne pouvait être confondu
             avec celui de l’animal abattu, voué à rester « chose », à deve-
             nir  viande,  afin  d’assurer  la  survie  des  humains.  La  sépara-
             tion métaphysique avec la nature était donc bien réalisée et



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