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L’apparition du phénomène reLigieux


                sa vie, au nom de la société des spectateurs incarnant l’huma-
                nité entière. À peine laïcisées, ces cérémonies sont celles que
                l’on voit illustrées de Çatal Hüyük (Anatolie, VII  millénaire) à
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                Cnossos (Crète, II  millénaire), et se trouvent infiniment répé-
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                tées via les mythologies et les jeux de symboles qui circulent
                durant toute la protohistoire, puis l’histoire écrite. L’homme
                fait face aux rapaces, félins, serpents, taureaux, toutes espèces
                restées ou entretenues « sauvages ». L’emprise sur la vie, garan-
                tie  par  l’image  de  ces  symboles,  confirme  et  prolonge  celle
                acquise quotidiennement par l’esprit. Dans ce défi, les forces
                spirituelles ne peuvent posséder que des aspects humains : les
                dieux sont nés !

                La connaissance à l’assaut de l’inaccessible
                   Toute  société  humaine  se  réfère  à  un  système  métaphy-
                sique où se concentrent les explications du réel ; en ce sens, la
                science en a aujourd’hui repris les fonctions. Dans les sociétés
                prédatrices, celles des chasseurs-cueilleurs qui ont régné pen-
                dant l’essentiel de la préhistoire humaine, la pensée mythique
                est omniprésente, elle imprègne tous gestes et toutes activi-
                tés. C’est pourquoi la notion de « religion » n’a guère de sens à
                cette époque : elle n’y est pas désolidarisée des autres activités
                humaines, comme elle le sera plus tard au néolithique, où elle   66
                se trouve déléguée aux prêtres, aux temples et aux fidèles. Par
                son extrême universalité, on peut dire que la pensée mythique
                (ou cette forme de religiosité) est consubstantielle à l’esprit
                humain, considéré dans son fonctionnement social. Comme la
                parole ou l’outil, l’humanité n’existe pas sans elle. Notre pen-
                sée fonctionne en effet sur cette dualité constante : la connais-
                sance  par  laquelle  la  volonté  s’affirme  et,  en  miroir,  se  défi-
                nit l’inconnaissable, réservé au seul domaine du sacré. L’axe
                principal au fil duquel fut balancée l’évolution humaine est en
                permanence constitué par cette opposition, la part du sacré
                perdant progressivement de l’ampleur sans jamais disparaître.
                   Dès la plus ancienne préhistoire, cette audace et ce conflit
                surgissent :  l’esprit  se  dégage  de  l’emprise  matérielle,  par
                l’emploi  de  l’outil,  l’élaboration  de  la  chasse,  la  maîtrise  du
                feu, l’expansion à de nouveaux territoires auxquels sa biolo-
                gie ne l’autorisait pas. À chaque fois, il s’agit de défier des lois



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