Page 139 - ANGOISSE
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- Lorsque j’ai fait ta connaissance il y a maintenant plusieurs années je dois
        honnêtement t’avouer, aussi pardonne-moi de te le dire ainsi, que j’ai tout
        d’abord pensé que tu étais quelqu’un sans consistance, de celle consistant à
        se  contenter  de  voguer  au  gré  des  vents  sans  exprimer  la  moindre
        personnalité.  Parallèlement  à cette opinion  il  faut  bien  le reconnaître,  peu
        favorable à ton égard, j’ai également éprouvé le sentiment que tu possédais
        en toi une force, une détermination, une volonté hors du commun mais que
        celles-ci,  latentes,  étaient  comme  enchaînées  par  un  carcan  social  et  qu’il
        suffisait d’un simple déclic, celui d’une serrure qui s’ouvre, afin qu’apparaisse
        enfin  ta  véritable  personnalité.  J’ignore  si  c’est  approprié  de  te  dire  cela
        maintenant alors que notre avenir est des plus sombres mais je tenais à ce que
        tu saches que je suis fier de mener ce combat à tes côtés.
        - Merci car cela me va droit au cœur. Mais trêve de congratulations, nous avons
        du pain sur la planche.
        - Alors je suis prêt à t’entendre sur la manière dont tu imagines la conquête de
        l’opinion publique.
        - Si on essaie d’analyser froidement la situation, la source de l’angoisse de la
        majorité de la population française est l’attaque massive à la ricine par des
        milliers de terroristes. Tout ce qui s’est produit par la suite n’en est donc que
        la conséquence directe ou indirecte. Ce que certains appelleraient les effets
        collatéraux. Ce qui signifie que notre action doit impérativement se concentrer
        sur la source. Afin d’y parvenir nous disposons d’un moyen « presque » légal,
        l’état  d’urgence,  proclamé  par  le  Président  de  la  République  lors  de  son
        allocution télévisée.
        - Sauf qu’il ne s’agissait que d’un discours non suivi d’effet dans la mesure où
        il n’y a pas eu de ratification.
        - Je t’arrête tout de suite. Il faut dès à présent nous affranchir de toute notion
        de cadre légal ou réglementaire. Cela n’a plus de sens dans l’urgence absolue
        qui  est  la  nôtre.  Tant  pis  si  par  la  suite  nous  serons  amenés  à  rendre  des
        comptes  à  la  justice  de  notre  pays,  pour  ma  part  j’en  assume  l’entière
        responsabilité. Il existe une impérieuse nécessité d’agir, laquelle se situe très
        nettement au-dessus des lois.
        - Si nous devions en assumer les conséquences je partage entièrement avec toi
        cette responsabilité.

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