Page 191 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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LIVRE SEPTIÈME
L’affaire Champmathieu
I
La sœur simplice
Les incidents qu’on va lire n’ont pas tous été connus à Montreuil-sur-
Mer, mais le peu qui en a percé a laissé dans cette ville un tel souvenir, que
ce serait une grave lacune dans ce livre si nous ne les racontions dans leurs
moindres détails.
Dans ces détails, le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances
invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité.
Dans l’après-midi qui suivit la visite ce Javert, M. Madeleine alla voir la
Fantine comme d’habitude.
Avant de pénétrer près de Fantine, il fit demander la sœur Simplice.
Les deux religieuses qui faisaient le service de l’infirmerie, dames
lazaristes comme toutes les sœurs de charité, s’appelaient sœur Perpétue et
sœur Simplice.
La sœur Perpétue était la première villageoise venue, grossièrement
sœur de charité, entrée chez Dieu comme on entre en place. Elle était
religieuse comme on est cuisinière. Ce type n’est point très rare. Les ordres
monastiques acceptent volontiers cette lourde poterie paysanne, aisément
façonnée en capucin ou en ursuline. Ces rusticités s’utilisent pour les grosses
besognes de la dévotion. La transition d’un bouvier à un carme n’a rien de
heurté ; l’un devient l’autre sans grand travail ; le fond commun d’ignorance
du village et du cloître est une préparation toute faite, et met tout de suite
le campagnard de plain-pied avec le moine. Un peu d’ampleur au sarrau,
et voilà un froc. La sœur Perpétue était une forte religieuse, de Marines,
près Pontoise, patoisant, psalmodiant, bougonnant, sucrant la tisane selon
le bigotisme ou l’hypocrisie du grabataire, brusquant les malades, bourrue
avec les mourants, leur jetant presque Dieu au visage, lapidant l’agonie avec
des prières en colère, hardie, honnête et rougeaude.
La sœur Simplice était blanche d’une blancheur de cire. Près de sœur
Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a
divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles
où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère
que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour
chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville
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