Page 195 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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–  Mais  monsieur  le  maire,  n’ayant  personne  avec  lui,  sera  obligé  de
                  prendre la peine de surveiller lui-même l’avoine.
                     – C’est dit.
                     – Il me faudra trente francs par jour. Les jours de repos payés. Pas un
                  liard de moins, et la nourriture de la bête à la charge de monsieur le maire.
                     M. Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table.
                     – Voilà deux jours d’avance.
                     – Quatrièmement, pour une course pareille un cabriolet serait trop lourd
                  et fatiguerait le cheval. Il faudrait que monsieur le maire consentit à voyager
                  dans un petit tilbury que j’ai.
                     – J’y consens.
                     – C’est léger, mais c’est découvert.
                     – Cela m’est égal.
                     – Monsieur le maire a-t-il réfléchi que nous sommes en hiver ?…
                     M. Madeleine ne répondit pas. Le flamand reprit :
                     – Qu’il fait très froid ?
                     M. Madeleine garda le silence. Maître Scaufflaire continua :
                     – Qu’il peut pleuvoir ?
                     M. Madeleine leva la tête et dit :
                     – Le tilbury et le cheval seront devant ma porte demain à quatre heures
                  et demie du matin.
                     – C’est entendu, monsieur le maire, répondit Scaufflaire, puis, grattant
                  avec l’ongle de son pouce une tache qui était dans le bois de la table, il reprit
                  de cet air insouciant que les flamands savent si bien mêler à leur finesse :
                     – Mais voilà que j’y songe à présent ! monsieur le maire ne me dit pas
                  où il va. Où est-ce que va monsieur le maire ?
                     Il  ne  songeait  pas  à  autre  chose  depuis  le  commencement  de  la
                  conversation,  mais  il  ne  savait  pourquoi  il  n’avait  pas  osé  faire  cette
                  question.
                     – Votre cheval a-t-il de bonnes jambes de devant ? dit M. Madeleine.
                     – Oui, monsieur le maire. Vous le soutiendrez un peu dans les descentes.
                  Y a-t-il beaucoup de descentes d’ici où vous allez ?
                     – N’oubliez pas d’être à ma porte à quatre heures et demie du matin très
                  précises, répondit M. Madeleine ; et il sortit.
                     Le flamand resta « tout bête », comme il disait lui-même quelque temps
                  après.
                     M. le maire était sorti depuis deux ou trois minutes, lorsque la porte se
                  rouvrit ; c’était M. le maire.
                     Il avait toujours le même air impassible et préoccupé.
                     – Monsieur Scaufflaire, dit-il, à quelle somme estimez-vous le cheval et
                  le tilbury que vous me louerez, l’un portant l’autre ?




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