Page 193 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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Fantine attendait chaque jour l’apparition de M. Madeleine comme on
attend un rayon de chaleur et de joie. Elle disait aux sœurs : – Je ne vis que
lorsque monsieur le maire est là.
Elle avait ce jour-là beaucoup de fièvre. Dès qu’elle vit M. Madeleine,
elle lui demanda :
– Et Cosette ?
Il répondit en souriant :
– Bientôt.
M. Madeleine fut avec Fantine comme à l’ordinaire. Seulement il resta
une heure au lieu d’une demi-heure, au grand contentement de Fantine. Il
fit mille instances à tout le monde pour que rien ne manquât à la malade.
On remarqua qu’il y eut un moment où son visage devint très sombre. Mais
cela s’expliqua quand on sut que le médecin s’était penché à son oreille et
lui avait dit : – Elle baisse beaucoup.
Puis il rentra à la mairie, et le garçon de bureau le vit examiner avec
attention une carte routière de France qui était suspendue dans son cabinet.
Il écrivit quelques chiffres au crayon sur un papier.
II
Perspicacité de maître Scaufflaire
De la mairie il se rendit au bout de la ville chez un flamand, maître
Scaufflaer, francisé Scaufflaire, qui louait des chevaux et des « cabriolets
à volonté ».
Pour aller chez ce Scaufflaire, le plus court était de prendre une rue peu
fréquentée où était le presbytère de la paroisse que M. Madeleine habitait.
Le curé était, disait-on, un homme digne et respectable et de bon conseil. À
l’instant où M. Madeleine arriva devant le presbytère, il n’y avait dans la rue
qu’un passant et ce passant remarqua ceci : M. le maire, après avoir dépassé
la maison curiale, s’arrêta, demeura immobile, puis revint sur ses pas et
rebroussa chemin jusqu’à la porte du presbytère, qui était une porte bâtarde
avec marteau de fer. Il mit vivement la main au marteau, et le souleva ; puis
il s’arrêta de nouveau, et resta court, et comme pensif, et après quelques
secondes, au lieu de laisser brusquement retomber le marteau, il le reposa
doucement et reprit son chemin avec une sorte de hâte qu’il n’avait pas
auparavant.
M. Madeleine trouva maître Scaufflaire chez lui occupé à repiquer un
harnais.
– Maître Scaufflaire, demanda-t-il, avez-vous un bon cheval ?
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