Page 192 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la
                  crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans
                  la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle
                  n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était
                  une personne – nous n’osons dire une femme – douce, austère, de bonne
                  compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle
                  paraissait  fragile  ;  plus  solide  d’ailleurs  que  le  granit.  Elle  touchait  aux
                  malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi
                  dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait
                  un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté
                  un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à
                  ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un
                  détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque,
                  même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était
                  le  trait  distinctif  de  la  sœur  Simplice  ;  c’était  l’accent  de  sa  vertu.  Elle
                  était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable.
                  L’abbé  Sicard  parle  de  la  sœur  Simplice  dans  une  lettre  au  sourd-muet
                  Massieu. Si sincères et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre
                  candeur la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge,
                  mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal.
                  Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ;
                  mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan
                  et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait elle
                  pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur
                  qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire
                  était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un
                  grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience
                  de saint Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial.
                  Simplice  de  Sicile,  on  le  sait,  est  cette  sainte  qui  aima  mieux  se  laisser
                  arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était
                  née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.
                     La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle
                  s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait
                  aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en gros
                  caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait
                  le livre.
                     La pieuse fille avait pris en affection Fantine, y sentant probablement de
                  la vertu latente, et s’était dévouée à la soigner presque exclusivement.
                     M. Madeleine emmena à part la sœur Simplice et lui recommanda Fantine
                  avec un accent singulier dont la sœur se souvint plus tard.
                     En quittant la sœur, il s’approcha de Fantine.





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