Page 229 - Les Misérables - Tome I - Fantine
P. 229
– Demain ! demain ! dit Fantine, je verrai Cosette demain ! Voyez-vous,
bonne sœur du bon Dieu, je ne suis plus malade. Je suis folle. Je danserais,
si on voulait.
Quelqu’un qui l’eût vue un quart d’heure auparavant n’y eût rien compris.
Elle était maintenant toute rose, elle parlait d’une voix vive et naturelle, toute
sa figure n’était qu’un sourire. Par moments elle riait en se parlant tout bas.
Joie de mère, c’est presque joie d’enfant.
– Eh bien, reprit la religieuse, vous voilà heureuse, obéissez-moi, ne
parlez plus.
Fantine posa sa tête sur l’oreiller et dit à demi-voix : – Oui, recouche-toi,
sois sage puisque tu vas avoir ton enfant. Elle a raison, sœur Simplice. Tous
ceux qui sont ici ont raison.
Et puis, sans bouger, sans remuer la tête, elle se mit à regarder partout
avec ses yeux tout grands ouverts et un air joyeux, et elle ne dit plus rien.
La sœur referma ses rideaux, espérant qu’elle s’assoupirait.
Entre sept et huit heures le médecin vint. N’entendant aucun bruit, il crut
que Fantine dormait, entra doucement et s’approcha du lit sur la pointe du
pied. Il entrouvrit les rideaux, et à la lueur de la veilleuse il vit les grands
yeux calmes de Fantine qui le regardaient.
Elle lui dit : – Monsieur, n’est-ce pas, on me laissera la coucher à côté
de moi dans un petit lit ?
Le médecin crut qu’elle délirait. Elle ajouta :
– Regardez plutôt, il y a juste la place.
Le médecin prit à part la sœur Simplice qui lui expliqua la chose, que
M. Madeleine était absent pour un jour ou deux, et que, dans le doute, on
n’avait pas cru devoir détromper la malade qui croyait monsieur le maire
parti pour Montfermeil ; qu’il était possible en somme qu’elle eût deviné
juste. Le médecin approuva.
Il se rapprocha du lit de Fantine, qui reprit :
– C’est que, voyez-vous, le matin, quand elle s’éveillera, je lui dirai
bonjour à ce pauvre chat, et la nuit, moi qui ne dors pas, je l’entendrai dormir.
Sa petite respiration si douce, cela me fera du bien.
– Donnez-moi votre main, dit le médecin.
Elle tendit son bras et s’écria en riant :
– Ah ! tiens ! au fait, c’est vrai, vous ne savez pas ! c’est que je suis
guérie. Cosette arrive demain.
Le médecin fut surpris. Elle était mieux. L’oppression était moindre. Le
pouls avait repris de la force. Une sorte de vie survenue tout à coup ranimait
ce pauvre être épuisé.
– Monsieur le docteur, reprit-elle, la sœur vous a-t-elle dit que monsieur
le maire était allé chercher le chiffon ?
222