Page 265 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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– Vous pouvez lire, dit-il.
                     Elle lut : – « Je prie monsieur le curé de veiller sur tout ce que je laisse
                  ici. Il voudra bien payer là-dessus les frais de mon procès et l’enterrement
                  de la femme qui est morte aujourd’hui. Le reste sera aux pauvres. »
                     La  sœur  voulut  parler,  mais  elle  put  à  peine  balbutier  quelques  sons
                  inarticulés. Elle parvint cependant à dire :
                     – Est-ce que monsieur le maire ne désire pas revoir une dernière fois cette
                  pauvre malheureuse ?
                     – Non, dit-il, on est à ma poursuite, on n’aurait qu’à m’arrêter dans sa
                  chambre, cela la troublerait.
                     Il achevait à peine qu’un grand bruit se fit dans l’escalier. Ils entendirent
                  un tumulte de pas qui montaient, et la vieille portière qui disait de sa voix
                  la plus haute et la plus perçante :
                     – Mon bon monsieur, je vous jure le bon Dieu qu’il n’est entré personne
                  ici de toute la journée ni de toute la soirée, que même je n’ai pas quitté ma
                  porte !
                     Un homme répondit :
                     – Cependant il y a de la lumière dans cette chambre.
                     Ils reconnurent la voix de Javert.
                     La chambre était disposée de façon que la porte en s’ouvrant masquait
                  l’angle du mur à droite. Jean Valjean souffla la bougie et se mit dans cet
                  angle.
                     La sœur Simplice tomba à genoux près de la table.
                     La porte s’ouvrit.
                     Javert entra.
                     On entendait le chuchotement de plusieurs hommes et les protestations
                  de la portière dans le corridor.
                     La religieuse ne leva pas les yeux. Elle priait. La chandelle était sur la
                  cheminée et ne donnait que peu de clarté.
                     Javert aperçut la sœur et s’arrêta interdit.
                     On se rappelle que le fond même de Javert, son élément, son milieu
                  respirable, c’était la vénération de toute autorité. Il était tout d’une pièce
                  et n’admettait ni objection, ni restriction. Pour lui, bien entendu, l’autorité
                  ecclésiastique était la première de toutes, il était religieux, superficiel et
                  correct sur ce point comme sur tous. À ses yeux un prêtre était un esprit qui
                  ne se trompe pas, une religieuse était une créature qui ne pèche pas. C’étaient
                  des âmes murées à ce monde avec une seule porte qui ne s’ouvrait jamais
                  que pour laisser sortir la vérité.
                     En apercevant la sœur, son premier mouvement fut de se retirer.







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