Page 25 - Tueuse d'Alpha - Vindicta
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Peut-être même l’observait-il en savourant la tête manquante
           comme on piocherait dans une vulgaire boîte de popcorn au cinéma.
             Je devais m’enfuir au plus vite, mais il m’était impossible de
           laisser Cinthya dans cet arbre, de tirer un trait sur ces quatorze
           années de vie soudées. J’étais donc montée sur ce conifère, luttant
           contre  son écorce rendue  glissante par la neige.  Son corps avait
           heurté le sol avec une telle violence, une fois décroché, que j’en eus
           le soufflé coupé.
             J’aurais tout donné pour pouvoir la ramener avec moi et lui offrir
           une cérémonie à la hauteur de son dévouement et de son sacrifice,
           ou au moins l’enterrer dignement, mais le temps manquait. Je
           ne pouvais pas non plus l’abandonner ainsi ; les traces de griffes
           étaient trop évidentes. Il fallait les dissimuler à tout prix. L’odeur
           aurait sans doute attiré des charognards, mais la seule pensée de les
           laisser dévorer son corps m’était insupportable. Il ne restait qu’une
           solution : la crémation.
             Mon regard glissa lentement vers mes mains tremblantes. La simple
           vue du sang qui les recouvrait me sortit de ma torpeur et je tentai de
           l’enlever. Frottant d’abord avec une certaine réticence, mes gestes
           se firent plus appuyés, remontant le long de mes bras, de mon cou et
           même dans mes cheveux, eux aussi recouverts d’hémoglobine.
             Plus je me frictionnais, plus j’avais l’horrible sentiment de trahir
           mon amie, de la rejeter en essayant de me débarrasser d’une part
           d’elle. Je me répugnais à agir ainsi, mais le dégoût à la vue de tout
           ce sang était plus fort encore. Des haut-le-cœur me submergeaient
           par vagues successives et l’odeur âcre du liquide poisseux finissait
           d’achever le travail. Incontrôlables, mes mains poursuivaient leur
           sale besogne avec frénésie. Je voulais hurler, m’arracher chaque
           centimètre de peau qui en était recouvert, mais aucun son ne sortait,
           le souffle si court qu’ils mourraient dans ma gorge.
             Si  le sang continuait de couler, emporté  par  l’eau  chaude, je
           n’étais plus capable de dire s’il s’agissait encore de celui de Cinthya
           ou du mien. Un mélange des deux, sans doute.
             Fermant les robinets avec une délicatesse surprenante en tenant
           compte de mon état agité du moment, j’enroulai une grande serviette


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