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Samba Gadjigo & Jason Silverman / L’héritage de Sembène au FESPACO   511

          toires. Sans doute la figure culturelle la plus importante de l'Afrique du XXe
          siècle, héros populaire et artiste contemporain, Sembène a, plus que tout autre,
          réussi à saisir les complexités de la culture africaine et à envisager une société
          plus équitable.

                 A l'occasion du cinquantième anniversaire du Festival Panafricain du
          Cinéma  de  Ouagadougou  (FESPACO),  il  convient  de  rappeler  le  rôle  que
         Sembène  et d'autres pionniers  ont joué  dans  la  mise en  place  des
         infrastructures culturelles et politiques, nationales et panafricaines nécessaires
         au développe- ment d'une véritable industrie cinématographique africaine.

                 Le décor d'une production cinématographique africaine accrue a été,
         en partie, planté au Sénégal en 1966 lors du premier Festival des Arts Nègres.
         Le cinéma faisait partie du programme, avec Black Girl de Sembène et Et la
         neige n'était plus d'Ababacar Samb-Makharam. Le premier festival de ci-
         néma consacré aux films africains, Les Journées Cinématographiques de Car-
         thage (JCC), a eu lieu en 1966 en Tunisie. En Afrique subsaharienne, le premier
         festival de cinéma, baptisé Semaine du Cinéma de Ouagadougou, a vu le jour
         le 1er février 1969, lorsque le centre culturel franco-voltaique de Ouagadougou
         a organisé un rassemblement de cinéastes de quatre pays africains. Il s'agit de
         Sembène Ousmane (Sénégal), Oumarou Ganda et Moustapha Alassane
         (Niger), Timité Bassori (Côte d'Ivoire) et Jean Rouch (France). La collabo-
         ration entre le Burkina Faso ex Haute-Volta et les services culturels français
         n'a duré qu'un an. Suite à cette première collaboration, en 1970, les autorités
         burkinabés nationalisent ses circuits de production et de distribution, déclen-
         chant ainsi un conflit avec les deux sociétés de distribution parrainées par la
         France, la COMACICO et la SECMA, qui exploitent des salles de cinéma au
         Burkina Faso et sont considérées comme pratiquant des prix abusifs. Après que
         les sociétés françaises ont fermé leurs salles de cinéma, le président du Burkina
         Faso, Sangoulé Lamizana, considérant les actions françaises comme une ten-
         tative d'étouffer l'industrie cinématographique naissante de la région et sa sou-
         veraineté nationale, a publié un décret présidentiel qui a nationalisé les canaux
         de distribution au Burkina Faso.
                 Peu après, avec le soutien de Lamizana, une semaine de projection
         de films a été lancée, mettant en vedette uniquement des cinéastes africains et
         coordonnée par Sembène. Neuf pays  africains  y ont participé,  et quarante
         courts et longs métrages ont été projetés dans les salles de Ouagadougou. Tous
         les cinéastes ont cédé gratuitement tous les droits commerciaux de leurs films
         au Burkina Faso, en soutien à leur souveraineté culturelle. Lors de la troisième
         édition du rassemblement en 1972, l'événement annuel a été rebaptisé Festival
         Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou. À cette époque, il
         attire plus de quarante cinéastes africains et quinze journalistes de dix pays.
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