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             Le cinéma comme école du soir


             Ousmane Sembène
             M     a première pensée va à mes compagnons d'âge dans cette profession, à leur
                 ténacité et à leur conviction. Dans les livres sur l'histoire de la cinémato-
              graphie, cette partie de l'Afrique est TERRA ICOGNITA. Malgré leur âge, ils
              ont défriché le chemin avec détermination et un esprit jeune. Jeunes et vieux,
              avec une foi d'adolescents, ils ont coupé des clairières dans cette forêt... Car-
              thage, le FESPACO… Pas beaucoup, mais beaucoup quand même... Alors une
              autre pensée me vient. Une nouvelle génération de cinéastes, au caractère bien
              trempé et maîtrisant parfaitement la technique, est née. Une troupe de secours.
                    Dans une première lettre adressée à tous, il était dit que « la découverte
              scientifique appartient à tous ». Faire des films est devenu notre métier. Alors à
              nous d'exprimer notre propre conception du septième art, de le placer aux côtés
              des autres formes d'art pour cette nouvelle Afrique qui s'annonce. Nouvelles gé-
              nérations, nouvelles luttes. Les anciens croyaient fermement en cette idée. Une
             œuvre à la fois collective et individuelle.
                     Aujourd'hui, il n'y a pas un seul festival international de cinéma sans
             la participation d'au moins un film réalisé par l'un d'entre nous ou sans que l'un
             d'entre nous soit membre d'un jury international. Des semaines, des séminaires,
             des festivals sur l'Afrique sont organisés hors du continent, dans le monde en-
             tier.
                     Peu à peu, le savoir-faire présumé d'un ou de plusieurs groupes pater-
              nalistes disparaît et notre participation à toutes ces réunions sur la cinémato-
               graphie aurait certainement plu à l'inventeur solitaire de la cinématographie. Il
              est donc juste de lui rendre hommage, mais nous devons aller encore plus loin...
              Chaque culture se met en scène dans le but de perpétuer sa morale et son éthique.
                   Dans les années 1920, 1930, 1940, nos compatriotes des villes, surnom-
             més les « AVANCÉS », étaient influencés par les films étrangers. Je me souviens
             de certains « AVANCÉS » qui se donnaient le nom d'acteurs américains ou eu-
             ropéens.
                     Un autre souvenir de la même époque me revient : nos réunions anti-
             coloniales ou syndicalistes se déroulaient dans des salles de cinéma pendant la
             journée. Le soir, nous y retournions pour regarder des films. Nous disposons
             d'ailleurs d'un merveilleux témoignage écrit du grand Hampaté Bâ qui nous ra-
             conte avoir assisté pour la première fois à une projection publique à Bamako,
             en 1905.
                     Dans les années 30, après mon expulsion de l'école française, j'allais
             pêcher des carpes dans la rivière avec mon père. Il me donnait une pièce pour
             aller au cinéma. Il s'est toujours montré très étonné de ma fréquentation assidue
             des salles de cinéma. Pour lui, c'était une affaire de Blancs. Il n'a jamais assisté
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