Page 130 - La pratique spirituelle
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Est-ce que mon moi égotique peut se rendre compte qu’il tourne               Les mouvements lents, finement écoutés, indiquent des résis-
            en rond ?                                                                    tances, parfois subtiles, que je n’interprète pas, mais qui
               La vision a sa source dans la conscience, et non dans l’objet             appellent à être senties et libérées. Je m’y emploie par des mou-
            contenu dans la conscience.                                                  vements hors de toute pratique, qui en eux-mêmes sont pure
                                                                                         réjouissance. Peut-on parler de yoga quand les postures sont
            Donc, seul l’observateur silencieux, le connaisseur, peut faire ce           inventées ou réinventées par le corps ?
            constat d’impasse ?                                                             Le yoga est écoute. Il n’est pas dépendant de la posture cor-
               Oui, tout à fait.                                                         porelle. C’est l’écoute elle-même qui est la posture.


            Je conçois le fait que « voir » puisse être sans pensées, comme un           Y a-t-il une attention particulière à garder lors de pratiques
            cliché photographique. Mais il y a bien ensuite une mise en lien             non dirigées ?
            qui s’opère, qui fait donc appel à l’intelligence ?                             Une attention globale, non défensive, qui contient le corps
               La vision est intelligence. Elle embrasse le monde dans son               tout entier, dans son immobilité et son mouvement.
            ensemble. Elle est sensibilité, amour, présence. C’est d’elle que
            jaillit l’action juste. La mise en lien dont vous parlez n’est pas           Je constate aussi que les pensées sont absentes durant la pra-
            indispensable. Elle est une réaction secondaire, qui crée une                tique. Est-ce que ressentir le corps, c’est le penser ?
            histoire à ce qui n’en a pas.                                                   Non. Lorsque la sensation est accueillie, écoutée, elle n’est
                                       *                                                 pas pensée.
                                     *  *
                                                                                         Est-ce qu’écouter la joie au travers du corps, c’est l’objectiver ?
            Depuis peu, je place ma langue à la racine des dents de devant                  Oui, c’est l’objectiver. La joie se réfléchit ainsi dans la struc-
            durant la méditation assise, mais cela s’accompagne d’une très               ture corporelle, sans jamais se réduire à elle.
            forte salivation qui devient gênante. Est-ce dû à un défaut de
            posture que je n’arrive pas à saisir ?                                       Enfin, dans la mesure où le temps est naturellement libre pour
               Si vous imposez à votre corps une posture obligée, il vous                cette pratique, est-elle à limiter ? Je ne m’en lasse pas.
            fera comprendre, d’une manière ou d’une autre, que la violence                  L’écoute est intemporelle. Elle n’est pas soumise à la loi du
            ne lui est pas appropriée. Détendez donc, aussi profondément                 temps. Votre intuition saura précisément guider la pratique
            que possible, votre structure pharyngée, ainsi que les muscles               corporelle. La pratique est temporelle. L’écoute ne l’est pas.
            de la langue et de la glotte. L’ajustement salivaire pourra ainsi
            se faire de lui-même, ainsi que les réflexes de déglutition.
                                                                                         Je suis mal à l’aise avec le fait qu’il faille une autre personne
                                       *                                                 pour connaître son propre corps, dans la mesure où celui-ci est
                                     *  *                                                déjà tout entier écouté de soi-même, et le fait d’être dirigée me
                                                                                         donne le sentiment de me séparer de moi-même.



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