Page 183 - La pratique spirituelle
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Depuis nos derniers entretiens, j’ai pu progresser sur la ges-
 tion de la douleur en pratiquant l’observation qui a permis   *
 un début de désidentification. Je vous avais également parlé   *  *
 d’une forte tension entre les deux yeux et, selon vous, je m’inves-  J’aimerais avoir votre avis sur ce qui est appelé « la posture du
 tissais trop sur l’avant du corps et il me fallait donc me posi-  cadavre ». Allongé sur le dos, par terre. Le corps s’enfonce douce-
 tionner plus en arrière. Auriez-vous l’amabilité de préciser   ment dans le sol. Les vertèbres se repositionnent conformément
 un peu cette technique car j’avoue ne pas bien savoir comment     à leur disposition naturelle. Tout se détend. Les pensées passent
 m’y prendre ?  et repassent sans rester. La respiration devient de plus en plus
 L’habitude de vivre dans un monde projeté déplace vers   profonde. Le corps disparaît à travers le sol. Il ne reste plus que
 l’avant le champ énergétique de la structure corps-mental,   l’inspir et l’expir qui se succèdent en moi. Puis, le « moi » dis-
 qui se trouve ainsi en constant état de déséquilibre. La réap-  paraît et ne reste que ce qui est là. Pourriez-vous donner votre
 propriation de l’espace arrière est une manière d’équilibrer   appréciation sur ce type de yoga ?
 les choses, en compensant la projection avant, et en prépa-  Toute posture n’est qu’un prétexte à habiter l’écoute. Le
 rant le positionnement dans l’axe central. Vous pouvez, par   corps se désencombre ainsi de la pesanteur du moi et retrouve
 exemple, laisser s’éveiller la sensibilité tactile de votre dos,   sa transparence oubliée.
 depuis le coccyx jusqu’au sommet de la tête. Elle devient alors
 vivante, vibrante. La sensibilité peut ensuite se déployer dans   *
 l’espace arrière, et prendre contact avec le mur arrière. Tout   *  *
 l’espace arrière est alors habité. L’écoute, le regard et le souffle   J’ai du mal à placer le regard à l’arrière de la tête. Si je mets
 peuvent prendre position dans cet espace. C’est l’espace arrière   l’attention dans la zone postérieure, la tension augmente.
 qui devient alors leur épicentre. Une fois que cet espace est   Comment puis-je aborder la pratique corporelle ?
 suffisamment habité et déployé, il est possible de réintégrer   Dans les perspectives du yoga que nous explorons ici, l’ac-
 les espaces latéraux et antérieurs, sans perdre cette circula-  cent est mis sur l’écoute, et non sur ce qui est écouté. Le corps
 rité sensorielle. Dans votre vécu quotidien, faites référence,   est alors accueilli tel qu’il est, sans lui surimposer un idéal
 autant que nécessaire, à cet habitat arrière, afin d’équilibrer   quelconque. Les tensions sont accueillies telles qu’elles sont,
 les tendances projectives. Voyez comment le corps se détend   et les mouvements partent de la sensibilité globale, et non de
 vers l’arrière, la structure cérébrale et oculaire se déposant en   la volonté. Lorsque la partie cervicale est explorée, vous lais-
 direction des épaules et/ou du bas du dos. Le corps est une   sez tout d’abord s’éveiller la sensation tactile de la nuque, par
 machinerie sensible, affectée par les perturbations mentales   exemple par le ressenti d’un châle imaginaire déposé sur le
 qui le traversent. Un juste équilibre se cherche entre l’activité   haut des épaules et la nuque, dont vous explorez la sensation,
 mentale fonctionnelle, nécessaire à la gestion de la vie tem-  matière, chaleur et vibration. Une fois la sensibilité de la région
 porelle, et la plénitude silencieuse de la conscience, qui est la   éveillée, le mouvement peut être introduit très lentement,
 source de tout repos.  comme s’il se déroulait dans un liquide tiède et transparent.




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