Page 209 - La pratique spirituelle
P. 209

tourner en rond, je suis tombé sur quelques enseignants ou per-  Il est souvent indiqué que l’éveil se réalise de façon abrupte et
 sonnes qui, comme vous-même, font état qu’il n’y a pas d’effort   qu’il n’y a pas vraiment de progression. Y a-t-il des signes avant-
 à fournir, car tout est déjà là présent. Nous ne sommes pas le   coureurs qui pourraient au moins indiquer que nous sommes
 corps, ni le mental, mais cet Absolu qui contient tout cela. Mon   sur la bonne voie ?
 mental pouvait être enfin mis au repos. Mais comme il fonc-  Constater qu’une certaine tranquillité vous envahit est le
 tionne de façon à ce que tout effort soit indispensable pour   signe que les projections perdent leur pouvoir de réflexion et
 obtenir quelque chose, il s’en trouve décontenancé. Comment   de séduction. Le moi projeté apparaît ainsi comme non réel.
 déshabituer notre propension à l’effort pour révéler cet     Le Soi non projeté est ce qui reste, lorsque le moi projeté n’est
 état originel ?  pas. L’attention reste encore fixée sur l’absence du moi projeté.
 Un effort est nécessaire pour aller d’un point à un autre. Il   Cette absence doit être transcendée, pour que la présence qui
 implique une distance et un mouvement. Ceci est valide pour   la coiffe révèle son évidence.
 le monde manifesté et la spatio-temporalité qui le régit. Par
 contre, pour la nature de ce que vous êtes, qui est à distance   Et enfin, la vigilance et le détachement, qui sont souvent ensei-
 zéro de vous-même, étant vous-même, dans votre pure essence,   gnés, ne sont-ils pas une forme d’effort ?
 il n’y a ni mouvement, ni distance, ni effort, donc. Il peut   La vigilance n’est pas le fruit d’un effort. Elle est la nature
 cependant y avoir un effort pour perdre l’habitude de faire des   de la conscience, qui ne dort pas. Le mental peut s’assoupir.
 efforts. Mais il s’agit alors d’une reconnaissance de l’inutilité de   Mais la conscience ne s’assoupit pas, n’étant pas un état, mais
 l’effort, effort qui ne peut vous amener à ce que vous êtes déjà,   le connaisseur de tous les états. Le détachement est possible
 ne pouvant vous amener qu’à ce que vous n’êtes pas. Cette   par rapport à ce que vous n’êtes pas, lorsque la projection est
 compréhension est illuminatrice, et induit une réorientation   reconnue dans son caractère fallacieux. Il ne peut concerner ce
 de la perspective.  que vous êtes, qui ne peut pas plus se détacher de ce qu’il est,
            que l’eau ne peut se détacher de l’eau, ou le ciel du ciel.
 S’il n’y a rien à faire, la révélation relèverait-elle plus de la
 grâce que d’une recherche sincère ?   *
 La recherche sincère est le moteur nécessaire pour per-  *  *
 mettre de clarifier la compréhension de ce que vous n’êtes   Je « pratique » en ce moment quelque chose qu’on pourrait nom-
 pas, et d’accepter la totale incapacité à objectiver ce que vous   mer le « rappel à soi ». Cette « sensation » de présence ou d’être
 êtes. Une fois ces deux éléments intégrés, vous vous trouvez   a le mérite d’être tout le temps disponible, et permet donc d’ai-
 au seuil de vous-même, encore hésitant et balbutiant, entre   der à une désidentification de ce qui arrive. J’aimerais donc
 vous prendre pour ce que vous n’êtes pas, et réaliser ce que   avoir votre avis sur cette « pratique », qui est de « focaliser sur
 vous êtes. Ce n’est que lorsque s’éteint l’impulsion de la pro-  l’esprit ».
 jection que la réalité peut vous saisir. C’est elle qui le fait,    Lorsque la pensée s’oriente vers la non-pensée, elle s’éteint
 et non vous.  en elle, et vous ramène à la plénitude indivise que vous êtes.




 208                                  209
   204   205   206   207   208   209   210   211   212   213   214