Page 222 - La pratique spirituelle
P. 222
manière que vous l’avez fait pour le projecteur de cinéma, vous *
vous retirez en arrière de l’objet, comme si l’objet était négligé. * *
Vous êtes alors attentif à ce qui est attentif, ce qui perçoit l’ob- Je pense appliquer correctement les conseils. Écoute, ouverture
jet. Perdure une séparation entre vous et l’attention. Vous vous d’accueil, en partant de la sensation émotionnelle, puis en met-
fondez alors complètement, sans réserve et sans retenue, dans tant l’accent sur l’accueil lui-même et sur l’acceptation : j’obtiens
l’attention elle-même, comme si vous tombiez en arrière dans de bons répits. Mais les mêmes souffrances (haines, vieilles ran-
un gouffre, jusqu’à ce que disparaisse la moindre distance. cœurs, propension au jugement, résurgences d’angoisse, senti-
ments de culpabilité, etc.) reviennent encore et encore.
Pour intégrer cette perspective, ne disposons-nous que l’écoute C’est l’intérêt porté à un système qui le maintient en vie.
des sons, du souffle, des sensations corporelles ? La pensée moi, et ses innombrables fruits qui lui sont entiè-
Les sons, le souffle, les sensations, les pensées, sont des per- rement dévoués, se maintient en vie par l’intérêt qui lui est
ceptions, qui émergent en vous, dans votre regard, silencieux porté. Examinez avec attention cette pensée-racine. Voyez
par nature. Quelle que soit la nature de la perception, celle-ci l’instant de son émergence de la plénitude silencieuse. Elle
n’existe que par la conscience qui la supporte. En restant fixé n’est qu’une mémoire, un concept, considéré comme réel et
sur la perception, la conscience est ignorée. En ignorant la per- valide, et dont le jaillissement est un réflexe conditionné, une
ception pour habiter le support qui la contient, vous êtes ce réaction à l’absence d’objet. Ce n’est que par un examen atten-
que vous êtes, avant que la perception ne naisse. tif que son caractère vide et insubstantiel se révèle. Et tant
qu’il ne s’est pas révélé, l’attention reste tournée vers elle, et lui
Être l’instant présent ne nous aide-t-il pas également ? transfère l’énergie dont elle a besoin pour se maintenir.
Il est impossible de ne pas l’être, puisque toute expérience
se référant au passé ou futur se déroule, en réalité, dans l’ins- Une autre question est de savoir si le plan du « mental vu », est
tantanéité de votre vécu présent. amené à s’éteindre totalement un jour, ou s’il restera ?
Le ciel est-il concerné par la persistance du mouvement
*
* * des nuages et du vent ? L’espoir est une attente. La présence
est sans attente.
Nisargadatta dans son livre Je suis dit qu’il faut garder à l’esprit
constamment la sensation « je suis », que c’est une porte vers Quelle est la limite de la pratique ?
l’aperception. J’essaie, mais je n’y arrive pas tout le temps car La vision naturelle est sans intention. Elle ne peut se prati-
le mental revient tout de même. Est-ce une question de persévé- quer. C’est elle qui voit, et c’est à partir d’elle que les rouages
rance ou d’entraînement, selon vous ? du mental sont objectivés. La vision n’est ni une pratique, ni
Oui, c’est une sorte de gymnastique interne que de se déga- le fruit d’une pratique. Elle est ce qui reste, lorsque le mental
ger des projections mentales dès leur naissance, et de conserver interprétatif disparaît. La négligence du mental interprétatif
l’esprit recueilli dans la béatitude propre à la non-pensée. C’est la n’est pas, en soi, une pratique. C’est le regard qui se détourne
« sadhana » de l’ascèse mentale qui, tôt ou tard, porte ses fruits. de ce qui ne l’attire plus.
222 223