Page 223 - La pratique spirituelle
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manière que vous l’avez fait pour le projecteur de cinéma, vous   *
 vous retirez en arrière de l’objet, comme si l’objet était négligé.   *  *
 Vous êtes alors attentif à ce qui est attentif, ce qui perçoit l’ob-  Je pense appliquer correctement les conseils. Écoute, ouverture
 jet. Perdure une séparation entre vous et l’attention. Vous vous   d’accueil, en partant de la sensation émotionnelle, puis en met-
 fondez alors complètement, sans réserve et sans retenue, dans   tant l’accent sur l’accueil lui-même et sur l’acceptation : j’obtiens
 l’attention elle-même, comme si vous tombiez en arrière dans   de bons répits. Mais les mêmes souffrances (haines, vieilles ran-
 un gouffre, jusqu’à ce que disparaisse la moindre distance.  cœurs, propension au jugement, résurgences d’angoisse, senti-

            ments de culpabilité, etc.) reviennent encore et encore.
 Pour intégrer cette perspective, ne disposons-nous que l’écoute   C’est l’intérêt porté à un système qui le maintient en vie.
 des sons, du souffle, des sensations corporelles ?  La pensée moi, et ses innombrables fruits qui lui sont entiè-
 Les sons, le souffle, les sensations, les pensées, sont des per-  rement dévoués, se maintient en vie par l’intérêt qui lui est
 ceptions, qui émergent en vous, dans votre regard, silencieux   porté. Examinez avec attention cette pensée-racine. Voyez
 par nature. Quelle que soit la nature de la perception, celle-ci   l’instant de son émergence de la plénitude silencieuse. Elle
 n’existe que par la conscience qui la supporte. En restant fixé   n’est qu’une mémoire, un concept, considéré comme réel et
 sur la perception, la conscience est ignorée. En ignorant la per-  valide, et dont le jaillissement est un réflexe conditionné, une
 ception pour habiter le support qui la contient, vous êtes ce   réaction à l’absence d’objet. Ce n’est que par un examen atten-
 que vous êtes, avant que la perception ne naisse.  tif que son caractère vide et insubstantiel se révèle. Et tant
            qu’il ne s’est pas révélé, l’attention reste tournée vers elle, et lui
 Être l’instant présent ne nous aide-t-il pas également ?  transfère l’énergie dont elle a besoin pour se maintenir.
 Il est impossible de ne pas l’être, puisque toute expérience
 se référant au passé ou futur se déroule, en réalité, dans l’ins-  Une autre question est de savoir si le plan du « mental vu », est
 tantanéité de votre vécu présent.  amené à s’éteindre totalement un jour, ou s’il restera ?
               Le ciel est-il concerné par la persistance du mouvement
 *
 *  *       des nuages et du vent ? L’espoir est une attente. La présence
            est sans attente.
 Nisargadatta dans son livre Je suis dit qu’il faut garder à l’esprit
 constamment la sensation « je suis », que c’est une porte vers   Quelle est la limite de la pratique ?
 l’aperception. J’essaie, mais je n’y arrive pas tout le temps car   La vision naturelle est sans intention. Elle ne peut se prati-
 le mental revient tout de même. Est-ce une question de persévé-  quer. C’est elle qui voit, et c’est à partir d’elle que les rouages
 rance ou d’entraînement, selon vous ?  du mental sont objectivés. La vision n’est ni une pratique, ni
 Oui, c’est une sorte de gymnastique interne que de se déga-  le fruit d’une pratique. Elle est ce qui reste, lorsque le mental
 ger des projections mentales dès leur naissance, et de conserver   interprétatif disparaît. La négligence du mental interprétatif
 l’esprit recueilli dans la béatitude propre à la non-pensée. C’est la   n’est pas, en soi, une pratique. C’est le regard qui se détourne
 « sadhana » de l’ascèse mentale qui, tôt ou tard, porte ses fruits.  de ce qui ne l’attire plus.




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