Page 225 - La pratique spirituelle
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La pratique peut, tout au plus, vous amener au seuil de Un « non » issu de la clarté a une qualité différente de celle
vous-même. Elle est, toutefois, incapable de révéler ce que vous d’un « non » issu de la réaction.
êtes, car est tournée vers ce que vous n’êtes pas. Le retourne-
ment nécessaire à cette pleine révélation n’est pas le fruit d’une J’essaie de comprendre ou de me figurer comment « ne plus se
pratique. Il survient par sa propre intelligence, indépendante prendre pour quelqu’un » pourrait se vivre. S’agit-il de ne plus
du vouloir égotique. s’affirmer ? De ne plus être concerné, ni intéressé par la vie ?
Simple témoin et c’est tout ? Comment vous, Jean-Marc, décri-
Où commence le lâcher-prise total ? riez-vous ce « vécu » ?
C’est la saisie qui vous quitte, dès lors qu’il est vu et com- Lorsque votre existence se déroule à partir de la conscience
pris qu’il n’y a rien à saisir, que ce que vous êtes échappe à silencieuse d’arrière-plan, elle est vue et vécue à partir d’une
toute saisie, tout en étant le désir caché qui induit la saisie. Et perspective globale, et non plus sélective. Les situations sont
la saisie se maintient tant que perdure la croyance de se trou- appréhendées à partir de cet arrière-plan, et non plus à par-
ver dans l’objet. Examinez l’objet, et voyez, clairement, que tir de la mémoire. La structure mentale et corporelle, et les
vous ne vous y trouvez pas. De ce constat, naît l’évidence de mémoires éventuelles qui lui sont associées, est active, mais
la primauté de l’ultime sujet, le seul qui ne peut être objet. n’est pas l’épicentre de la parole et de l’action. Elle pro-
longe la conscience, sans prendre le pas sur elle, comme le
Je me demandais pourquoi, dans votre enseignement, il n’est ferait un serviteur docile. Des mémoires peuvent survenir,
jamais question de résoudre les mensonges que l’on se raconte mais elles n’occultent pas la lumière d’arrière-plan. C’est
et qui nourrissent l’émotion ? Sans doute, est-ce leur porter trop en explorant l’absence de vous-même que ce vécu prend
d’intérêt... place. Il ne se réfère pas à un état particulier du corps-men-
La vision libère de l’identification à ce qui est vu. Lorsque tal, mais à la plénitude de la conscience silencieuse. Celle-ci
les rouages du mental sont vus, c’est-à-dire vus à partir de la contient les états changeants de la structure manifestée, sans
conscience silencieuse, mais non interprétés à partir du men- jamais s’y perdre.
tal pensant, il y a distanciation. Vous réalisez alors que vous
n’êtes pas ces rouages conditionnés, mais la conscience qui les « Gérer » une émotion dans la vision lorsqu’on est seul, c’est
éclaire et les illumine. Si la lumière du projecteur de cinéma jouable. Mais maintenir la Vision en situation face à des gens
devait analyser le contenu des films qu’elle éclaire, elle finirait rodés au conflit, remet directement la conscience dans la boîte
par s’épuiser dans une vaine agitation. En restant dans son du moi. C’est là que je perçois peut-être la nécessité d’une
identité originelle, elle affirme son autonomie, et se libère ainsi retraite complète pour affirmer la posture d’arrière-plan... Mais
du cycle de naissance et mort propre au contenu projeté. d’aucuns disent que c’est justement quand la vie provoque qu’il
faut saisir l’occasion de s’entraîner.
Si l’on ne s’oppose plus à l’ego conquérant ou avide de la per- La retraite est une retraite dans le silence d’arrière-plan. Les
sonne en face, reste la possibilité de « se faire abuser par les temps de recueillement qui lui sont consacrés jouent là leur
autres ». rôle, en facilitant l’ancrage dans l’arrière-plan, et la négligence
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