Page 287 - La pratique spirituelle
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Si affermir la foi n’a pas vraiment de sens, et si c’est la quête   Sans rendre un culte au mental, il est quand même rusé. À faire
 elle-même qui nous quitte et non pas l’inverse, alors quel sens   aller de croyance en croyance, rapidement, et dans des extrêmes.
 donnez-vous au verbe persévérer ?  L’ascèse mentale me parait très délicate.
 Persévérer veut dire ici maintenir l’attention tournée vers ce   Elle est pourtant présente spontanément dans le sommeil
 qui est attentif, sans se laisser distraire par les objets d’attention.   profond. Il suffit donc d’en permettre l’actualisation dans
 On peut croire qu’il s’agit d’un effort de volonté. En réalité,   l’état de veille.
 c’est la conscience attentive qui se rappelle ainsi à elle-même.  *
                                     *  *
 C’est la conscience qui maintient l’attention, mais cela est mas-  Il y a une différence entre écouter et être l’écoute.
 qué, car le personnage appose sa signature sur cette attention ?  Oui, tout à fait.
 L’attention est impersonnelle. Elle ne se réfère pas à la
 mémoire. L’analyse et l’interprétation sont personnelles. Elles   Cette comparaison-là peut-elle se faire entre « respirer » et
 se réfèrent à la mémoire.  « être le respir » ?
               Oui, c’est la même chose.
 Le mot impersonnel reste sur un plan conceptuel. Il y a toujours
 l’impression que l’attention est personnelle, qu’il s’agit de moi   Est-ce une suridentification au corps ? Ou est-ce la résultante
 qui voit.  d’un lâcher-prise sur l’idée de faire l’acte de respirer ?
 Regardez un arbre. Évitez de le nommer « arbre » et de   Dans écouter, ou respirer, il y a, sous-entendue, l’idée d’un
 le qualifier de « beau, vert », ou autre. La perception émerge   quelqu’un qui écoute, d’un quelqu’un qui respire. En réa-
 alors en vous. Elle est en vous. Observez maintenant le corps   lité, il y a écoute, il y a respir. L’idée du moi, qui n’est qu’un
 qui contient la perception de l’arbre. La perspective s’élar-  concept mental, se surimpose à ces actions spontanées, et va
 git. Vous n’êtes plus réduit à la perception et au corps qui la   les colorer en disant « j’écoute, je respire ». Mais il ne s’agit que
 contient. C’est cela le regard de l’impersonnel. C’est lui qui est   d’une imposture de l’ego, qui s’approprie une action qui ne lui
 le témoin du personnel.  appartient pas, en faisant croire qu’il en est l’auteur.

 La  quête  amènerait donc le chercheur  à  constater son   Lorsque mon attention est attirée vers la respiration, sans
 impuissance.  aucune volonté donc, il y a une fusion entre l’attention à... et
 Impuissance à se connaître en tant qu’objet. Ce constat   le phénomène respiratoire en lui-même. Un soir avant de dor-
 vous libère de l’habitude de vous chercher dans l’objet.  mir, j’ai vu la respiration se faire elle-même, libre de moi, et
            être comme vivante en soi. C’était très agréable. Parfois, mon
 Ainsi l’ascèse ne peut être que relative, personnelle ?  attention est à nouveau en chute libre vers cette « nature respi-
 C’est une ascèse mentale, dans laquelle le mental cesse de   rante », comme si une « respireuse » était là en amont de moi
 tourner en rond, comme un lion dans sa cage.  qui croit respirer.




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