Page 289 - La pratique spirituelle
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L’attention fait un avec l’objet d’attention. Elle est ainsi une bonne humeur ou de mauvaise humeur. Là non plus, pas de
avec la respiration. Il n’y a alors pas de témoin, pas d’intermé- choix, on peut juste constater...
diaire, pas de personnage surajouté. L’instant d’après, le men- On peut en effet tout à fait transposer cette perspective à
tal va se mettre en route, commenter et interpréter, et créer l’ensemble de la vie manifestée. La vie est impersonnelle dans
un pseudo-personnage qui prétend être la source de l’action. son essence, ainsi que dans son expression, bien que l’expres-
Lorsque ce personnage est vu, il s’efface, comme honteux de sion soit conditionnée par l’organe qui l’exprime. Ce n’est que
son imposture. Une fois qu’il s’est effacé, l’attention redevient le mental pensant qui crée un film et une histoire, sur ce qui
ce qu’elle est toujours, impersonnelle. La respiration se déroule n’a pas d’histoire. Chaque instant est, en réalité, tel qu’il est.
en elle, tout comme le mouvement des nuages se déroule dans Si les instants ne sont pas raccordés entre eux par le pouvoir
l’immuabilité du ciel. On peut transposer cette compréhen- de la mémoire, ils ne sont que jaillissement de la conscience.
sion à l’écoute, qui fait un avec l’objet d’écoute, tout en ne L’univers se recrée ainsi à chaque instant.
pouvant se résumer à lui.
En ce qui concerne le corps, et les actes que nous lui attribuons
Si l’on peut faire des comparaisons entre l’écoute et le respir, sans intervention de la volonté, tels que tousser, respirer, digé-
peut-on également les étendre à d’autres « phénomènes » tels rer, etc., sont-ils différents des actes dits volontaires, comme par
que « chanter une berceuse » ? Par exemple, une nuit, mon fils exemple applaudir un spectacle ?
s’éveille en pleurs. Je décide de chanter. Petit à petit, alors que Il existe un système nerveux dit autonome, qui gère les
je me confonds bientôt dans les sentiments puissants d’amour fonctions automatiques du corps. D’autres fonctions sont
qui m’animent, le chant me profite aussi. Voilà que bien- directement tributaires du mental, qui en donne l’impulsion.
tôt, il y a même étonnement : « Oh, mais quelle est cette voix
chantante ? ». La fatigue, le découragement et mes plaintes se Les actes involontaires peuvent-ils être compris et vus comme
trouvent soudain dépassés par mon propre chant, qui m’unit des expériences de l’Être impersonnel, un peu comme une preuve
à mon enfant et me fait disparaître en mon amour pour lui. que l’ego n’est pas nécessaire pour l’expression de la vie ?
Ne reste que le chant se faisant, absolument sans effort, sans Il y a des fonctions inhérentes au corps physique. Et
volonté, sans moi en quelque sorte. d’autres, qui ont leur source dans le corps mental. Le men-
Ce type d’expérience montre bien à quel point l’action est tal fonctionne en partie sur un mode automatique. Il est une
un phénomène impersonnel, qui n’a pas besoin de l’interven- déclinaison, constamment réitérée, de la pensée « moi », qui
tion du concept égotique pour se dérouler. C’est au contraire se déguise et s’articule sous des formes diverses. L’intuition est
par son absence qu’elle acquiert beauté, justesse et fluidité. une guidance différente, qui oriente le mental en lui suggérant
une direction. Il n’y a pas non plus ici une intervention de la
Ce type de perceptions impersonnelles soudaines se produisent volonté, puisque l’intuition vient à vous lorsque l’écoute le lui
souvent lorsque l’on bouge dans le lit durant le sommeil. Quand permet. Et le désir d’écouter est en fait une manifestation de
on éternue par surprise. Ou lorsque le matin on se réveille de l’écoute, qui impose sa loi au mental distrait.
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