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actualité
Juliette Bossé, responsable de la revue
Décolonisation:
ouvrir un débat
national
Nous avons rencontré Gia Abrassart, journaliste décoloniale, antiraciste et féministe.
Elle est l’une des porte-paroles francophones de Belgian Network For Black Lives,
collectif qui a participé à l’organisation de la manifestation contre le racisme du 7
juin 2020, à Bruxelles.
Éduquer: Le rassemblement du dimanche 7 Éduquer: Quand on est un jeune noir ou
juin 2020, devant le Palais de Justice bruxellois, a arabe, comment se caractérise le racisme? Il y
réuni des milliers de personnes. Quels en étaient a quelques temps, sur le site de Franceinfo, un
les mots d’ordre et les objectifs? article expliquait que dans les familles issues de
Gia Abrassart: Au départ, la mobilisation a l’immigration, la peur de l’appareil policier se
été lancée par l’asbl Change suite au meurtre ra- transmettait de génération en génération. Les
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ciste de George Floyd aux États-Unis. Le collectif parents mettent en garde leurs enfants en leur
Belgian Network For Black Lives, qui regroupe disant d’avoir toujours leur carte d’identité sur
une vingtaine d’associations néerlandophones eux, et face aux agents, de ne pas faire de gestes
et francophones, est venu apporter son soutien brusques, de faire attention à leur façon de parler,
Coup de crayon sur l’actu à l’évènement car, évidemment, les brutalités de regarder...
policières à l’égard des personnes racisées , le G.A: Oui, par exemple, mes neveux adoles-
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Anne-Gaëlle Amiot a étu- racisme systémique ou la négrophobie existent cents métis se font systématiquement arrêter
dié aux Arts Décoratifs de aussi chez nous, en Belgique. C’est cela qui a mo- pour des contrôles d’identité. Ces contrôles au
Paris où elle a appris la sé- tivé la jeune génération à venir en force, avec sa faciès sont des pratiques qui relèvent d’un ra-
rigraphie et la gravure. Elle «digne rage», de manière pacifique. Ces 10 000 cisme latent en Belgique. Bien sûr, cela pousse
collabore régulièrement personnes souhaitaient témoigner de leur solida- ces jeunes à croire que le système policier n’est
pour la presse (Le Monde, rité, mais surtout, elles étaient là pour faire un lien pas là pour les protéger mais au contraire pour
L’Obs, Society, XXI, etc.) et avec la réalité belge. les stigmatiser. Cela les renvoie à leur altérité alors
l’édition, et travaille le des- Cette convergence des luttes et des revendica- qu’ils sont belges à part entière.
sin dans un style réaliste. tions est historique. Cela fait maintenant une quin- Le racisme est partout. Depuis notre naissance,
www.annegaelleamiot.com zaine d’années que des associations travaillent sur nous, les personnes racisées, sommes considérées
ces questions mais depuis ce dimanche, il y a une comme des citoyens ou citoyennes de seconde
prise de conscience plus large, surtout autour des zone. Par exemple, lorsque les médias évoquent
violences policières envers les Noir·e·s ou les per- des jeunes noirs ou arabes, c’est forcément pour
sonnes issues de l’immigration maghrébine. Ce les qualifier de «délinquants» ou de «casseurs»,
n’est pas rien de réunir en plein confinement/dé- ce qui anime et encourage les discriminations ra-
confinement, autant de personnes qui acceptent ciales. Je peux aussi évoquer ce qu’on appelle
de prendre le risque de se rencontrer, dont beau- «le plafond de verre racial», cette discrimination
coup de familles avec enfants; et qui, pour la pre- à l’emploi et au logement à l’égard des personnes
mière fois, viennent dire que ce n’est plus possible. racisées. S’il n’y a pas une décolonisation des
Selon moi, on aurait facilement pu arriver à 30 000 imaginaires, les réflexes autour des stéréotypes
personnes dans un contexte hors pandémie. racistes et sur les Noir·e·s persisteront.
n° 155 | juin 2020 éduquer 7