Page 232 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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Cette salle, spacieuse et éclairée d’une seule lampe, était une ancienne
                  salle de l’évêché et servait de salle des pas perdus. Une porte à deux battants,
                  fermée en ce moment, la séparait de la grande chambre où siégeait la cour
                  d’assises.
                     L’obscurité était telle qu’il ne craignit pas de s’adresser au premier avocat
                  qu’il rencontra.
                     – Monsieur, dit-il, où en est-on ?
                     – C’est fini, dit l’avocat.
                     – Fini !
                     Ce mot fut répété d’un tel accent que l’avocat se retourna.
                     – Pardon, monsieur, vous êtes peut-être un parent ?
                     – Non. Je ne connais personne ici. Et y a-t-il eu condamnation ?
                     – Sans doute. Cela n’était guère possible autrement.
                     – Aux travaux forcés ?…
                     – À perpétuité.
                     Il reprit d’une voix tellement faible qu’on l’entendait à peine :
                     – L’identité a donc été constatée ?
                     – Quelle identité ? répondit l’avocat. Il n’y avait pas d’identité à constater.
                  L’affaire était simple. Cette femme avait tué son enfant, l’infanticide a été
                  prouvé, le jury a écarté la préméditation, on l’a condamnée à vie.
                     – C’est donc une femme ? dit-il.
                     – Mais sûrement. La fille Limosin. De quoi me parlez-vous donc ?
                     – De rien. Mais puisque c’est fini, comment se fait-il que la salle soit
                  encore éclairée ?
                     – C’est pour l’autre affaire qu’on a commencée il y a à peu près deux
                  heures.
                     – Quelle autre affaire ?
                     – Oh ! celle-là est claire aussi. C’est une espèce de gueux, un récidiviste,
                  un galérien, qui a volé. Je ne sais plus trop son nom. En voilà un qui vous
                  a une mine de bandit. Rien que pour avoir cette figure-là, je l’enverrais aux
                  galères.
                     – Monsieur, demanda-t-il, y-a-t-il moyen de pénétrer dans la salle ?
                     – Je ne crois vraiment pas. Il y a beaucoup de foule. Cependant l’audience
                  est suspendue. Il y a des gens qui sont sortis, et, à la reprise de l’audience,
                  vous pourrez essayer.
                     – Par où entre-t-on ?
                     – Par cette grande porte.
                     L’avocat  le  quitta.  En  quelques  instants,  il  avait  éprouvé,  presque  en
                  même temps, presque mêlées, toutes les émotions possibles. Les paroles de
                  cet indifférent lui avaient tour à tour traversé le cœur comme des aiguilles
                  de glace et comme des lames de feu. Quand il vit que rien n’était terminé,




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