Page 233 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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il respira ; mais il n’eût pu dire si ce qu’il ressentait était du contentement
                  ou de la douleur.
                     Il s’approcha de plusieurs groupes et il écouta ce qu’on disait. Le rôle
                  de la session étant très chargé, le président avait indiqué pour ce même jour
                  deux affaires simples et courtes. On avait commencé par l’infanticide, et
                  maintenant on en était au forçat, au récidiviste, au « cheval de retour ». Cet
                  homme avait volé des pommes, mais cela ne paraissait pas bien prouvé ;
                  ce qui était prouvé, c’est qu’il avait été déjà aux galères à Toulon. C’est ce
                  qui faisait son affaire mauvaise. Du reste, l’interrogatoire de l’homme était
                  terminé et les dépositions des témoins ; mais il y avait encore les plaidoiries
                  de l’avocat et le réquisitoire du ministère public ; cela ne devait guère finir
                  avant minuit. L’homme serait probablement condamné ; l’avocat général
                  était très bon, – et ne manquait pas ses accusés ; – c’était un garçon d’esprit
                  qui faisait des vers.
                     Un huissier se tenait debout près de la porte qui communiquait avec la
                  salle des assises. Il demanda à cet huissier :
                     – Monsieur, la porte va-t-elle bientôt s’ouvrir ?
                     – Elle ne s’ouvrira pas, dit l’huissier.
                     – Comment ! on ne l’ouvrira pas à la reprise de l’audience ? est-ce que
                  l’audience n’est pas suspendue ?
                     – L’audience vient d’être reprise, répondit l’huissier, mais la porte ne se
                  rouvrira, pas.
                     – Pourquoi ?
                     – Parce que la salle est pleine.
                     – Quoi ! il n’y a plus une place ?
                     – Plus une seule. La porte est fermée. Personne ne peut plus entrer.
                     L’huissier ajouta après un silence : – Il y a bien encore deux ou trois
                  places derrière monsieur le président, mais monsieur le président n’y admet
                  que les fonctionnaires publics.
                     Cela dit, l’huissier lui tourna le dos.
                     Il se retira la tête baissée, traversa l’antichambre et redescendit l’escalier
                  lentement, comme hésitant à chaque marche. Il est probable qu’il tenait
                  conseil avec lui-même. Le violent combat qui se livrait en lui depuis la
                  veille n’était pas fini ; et, à chaque instant, il en traversait quelque nouvelle
                  péripétie. Arrivé sur le palier de l’escalier, il s’adossa à la rampe et croisa
                  les bras. Tout à coup il ouvrit sa redingote, prit son portefeuille, en tira un
                  crayon, déchira une feuille, et écrivit rapidement sur cette feuille à la lueur
                  du réverbère cette ligne : –M. Madeleine maire de Montreuil-sur-Mer. Puis il
                  remonta l’escalier à grands pas, fendit la foule, marcha droit à l’huissier, lui
                  remit le papier, et lui dit avec autorité : – Portez ceci à monsieur le président.
                     L’huissier prit le papier, y jeta un coup d’œil et obéit.




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