Page 236 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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Quand il eut doublé plusieurs des coudes de ce couloir, il écouta encore.
C’était toujours le même silence et la même ombre autour de lui. Il était
essoufflé, il chancelait, il s’appuya au mur. La pierre était froide, sa sueur
était glacée sur son front, il se redressa en frissonnant.
Alors, là, seul, debout dans cette obscurité, tremblant de froid et d’autre
chose peut-être, il songea.
Il avait songé toute la nuit, il avait songé toute la journée ; il n’entendait
plus en lui qu’une voix qui disait : hélas !
Un quart d’heure s’écoula ainsi. Enfin, il pencha la tête, soupira avec
angoisse, laissa pendre ses bras, et revint sur ses pas. Il marchait lentement
et comme accablé. Il semblait que quelqu’un l’eût atteint dans sa fuite et le
ramenât.
Il rentra dans la chambre du conseil. La première chose qu’il aperçut,
ce fut la gâchette de la porte. Cette gâchette, ronde et en cuivre poli,
resplendissait pour lui comme une effroyable étoile. Il la regardait comme
une brebis regarderait l’œil d’un tigre.
Ses yeux ne pouvaient s’en détacher.
De temps en temps il faisait un pas et se rapprochait de la porte.
S’il eût écouté, il eût entendu, comme une sorte de murmure confus, le
bruit de la salle voisine ; mais il n’écoutait pas, et il n’entendait pas.
Tout à coup, sans qu’il sût lui-même comment, il se trouva près de la
porte. Il saisit convulsivement le bouton ; la porte s’ouvrit.
Il était dans la salle d’audience.
IX
Un lieu où des convictions
sont en train de se former
Il fit un pas, referma machinalement la porte derrière lui, et resta debout,
considérant ce qu’il voyait.
C’était une assez vaste enceinte à peine éclairée, tantôt pleine de
rumeur, tantôt pleine de silence, où tout l’appareil d’un procès criminel se
développait avec sa gravité mesquine et lugubre au milieu de la foule.
À un bout de la salle, celui où il se trouvait, des juges à l’air distrait, en
robe usée, se rongeant les ongles ou fermant les paupières ; à l’autre bout,
une foule en haillons ; des avocats dans toutes sortes d’attitudes ; des soldats
au visage honnête et dur ; de vieilles boiseries tachées, un plafond sale, des
tables couvertes d’une serge plutôt jaune que verte, des portes noircies par
les mains ; à des clous plantés dans le lambris, des quinquets d’estaminet
donnant plus de fumée que de clarté ; sur les tables, des chandelles dans
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