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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  J’ai été interne au département de psychologie expérimentale,
                  d’abord sous la direction de Brian Moore et de Brian Glasberg,
                  qui m’ont enseigné la psychoacoustique, ou la façon dont notre
                  cerveau perçoit les sons ; parmi mes travaux, je me suis intéressé
                  au « contournement modal », ou à la possibilité d’entendre des
                  triangles plutôt que de les voir. Puis j’ai retrouvé ce département
                  en 2009, sous la direction de Lorraine Tyler, pour qui j’ai étu‑
                  dié des résultats très intéressants de magnétoencéphalographie,
                  m’amenant à méditer sur la neuroergonomie en littérature, et en
                  particulier en poésie.
                    Pour me guérir autant que possible du système des grandes écoles
                  cloisonnées à la française, j’ai poursuivi ma formation à l’université
                  de Stanford, mais je suis retourné ensuite rue d’Ulm, où les travaux
                  de Stanislas Dehaene au Collège de France, sur l’« espace de travail
                  global » de notre conscience, ont été une oasis dans le désert.
                    C’est de la dépression nerveuse qu’est né mon intérêt pour la
                  neuroergonomie, ou comment transformer le plomb de la vie en
                  or. À Orsay, je m’étais intéressé aux jeux vidéo et à leur impact
                  dans l’apprentissage ; sorti de Normale, j’en ai fait ma spécialité. Je
                  voulais choisir mon sujet de thèse, l’écrire de A à Z, et ne pas me
                  le voir imposer par une équipe dont je serais, comme de trop nom‑
                  breux thésards, une main‑d’œuvre bon marché, corvéable à merci.
                  Conséquence de cette indiscipline, je n’ai pas trouvé de financement.
                  J’ai donc goûté à la précarité qui est pour certains un bourreau et
                  pour d’autres, dont j’ai appris à faire partie, un maître intéressant.
                    Je me suis alors inscrit en Préparation militaire supérieure dans la
                  Marine nationale. Officier d’état‑ major : un uniforme, une famille,
                  une place, l’opposé de la précarité, physique comme intellectuelle.
                  J’y ai fait la rencontre d’un capitaine de corvette de la famille
                  d’Honoré d’Estienne d’Orves, qui, un jour, au mont Valérien, m’a
                  décrit Paris comme « la Grande Broyeuse ». Je crois que c’est de
                  cette expression exacte que m’est venue la passion de l’humanisme
                  neuronal. Aucune formule ne m’avait paru jusque‑ là condenser
                  aussi clairement la condition humaine moderne : de la chair à ville,
                  de la chair à économie, une commodité dépossédée de sa raison
                  d’être, à qui l’on fait se sentir coupable de vouloir reprendre son
                  cerveau et son destin en main, et que l’on punit de ne pas être à


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