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MON hISTOIRE
que nous pouvons atteindre et ce qu’il faut aller chercher, par
exemple. De même, la façon dont nous explorons notre univers
mental dépend de notre posture cognitive. Il y a des pensées, des
solutions que nous pouvons nous interdire, comme les Grecs
anciens s’interdisaient les nombres irrationnels. Notre cerveau au
travail, selon la manière dont il se « tient », pourra prendre des
directions radicalement différentes. Et l’on peut changer le monde
en changeant les postures mentales.
En écrivant ce livre, dispersé que je suis dans d’autres pensées,
d’autres stimuli, influencé par mes expériences passées et par mes
plans futurs, je sens que le présent m’échappe, je souffre, moi aussi,
de troubles de la posture cognitive. Le nombre de pensées que je
peux organiser en rédigeant ces lignes est très limité, et il existera
certainement, un jour, des technologies mentales qui me permet‑
tront d’en manipuler davantage. Quand on parle de mnémotech‑
nique, l’erreur est de croire qu’il s’agit d’une méthode ancienne,
surannée, alors qu’elle n’a rien de plus actuel : les technologies
mentales sont d’une brûlante actualité.
À lire ce texte, vous souffrez des mêmes troubles que moi. En
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faisant œuvre d’une subjectivité limpide , vous décelez les inten‑
tions que votre cerveau m’a automatiquement attribuées, qu’elles
relèvent de la vanité, de la politique, ou que sais‑ je ? L’attribution
automatique d’intentions n’est pas une mauvaise chose en soi :
c’est quand elle nous contrôle qu’elle devient une maladie de l’âme.
Autrement, elle ne fait que refléter le cerveau au travail, in situ, hors
des conditions contrôlées du laboratoire. Le problème dans l’état
actuel de nos sciences, encore très maladroites, fragiles et limitées ,
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c’est que plus une situation est naturelle, moins elle est contrôlée
expérimentalement, et moins elle est contrôlée, plus il est difficile
d’en tirer des conclusions. La neuroergonomie nous ramène à la
notion la plus primordiale d’expérience, c’est‑ à‑ dire une situation
1. Je dois cette expression au Cheikh Aly N’Daw. La subjectivité limpide, qui est
équivalente à la magnanimité, c’est‑ à‑ dire à la grandeur d’âme, est la source de toute
vertu humaine possible.
2. Je crois que ce qui frappera le plus nos descendants dans ce domaine, c’est
l’étroitesse de notre empan scientifique. Qu’il relève de la méthode, c’est une chose,
mais il a fini par se traduire par une étroitesse intellectuelle, une étroitesse cognitive
qui est érigée en signe d’excellence professionnelle.
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