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NEUROMIMÉTISME
                  notre conception du temps et de l’espace, et celle que nous avons
                  des nombres comme des notions géométriques de base.
                    S’il existe une culture physique, il peut exister aussi une culture
                  mentale, mais elle ne doit jamais avoir qu’une seule racine : le bien‑
                  être dans la liberté. La véritable culture physique n’est pas celle qui
                  enferme le corps dans ses muscles, mais celle qui le magnifie et le
                  libère. Un pompier, par exemple, a une compréhension très claire
                  de cette notion : s’il ne peut se hisser, à bout de bras, le long de la
                  façade d’un immeuble, il sait qu’il ne peut pas partir en mission
                  parce que sa kinésphère est trop réduite pour lui permettre de
                  combattre le feu. Elle ne lui donne pas la liberté suffisante pour agir.
                    La culture physique a pour mission d’agrandir notre kinésphère,
                  il en est de même de la culture mentale, et c’est là la mission sacrée
                  de l’école : augmenter la liberté par l’éducation, mettre l’éducation
                  au service de la liberté et pas l’inverse.
                    Pour exercer nos muscles, nous pouvons recourir à des tâches
                  répétitives ou bien à des exercices intégrés, des sports dotés d’un
                  objectif distrayant et motivant. Nous pouvons nous entraîner en
                  salle de gymnastique, avec des appareils, ou en extérieur, et sur
                  plusieurs pratiques athlétiques différentes. Il en va de même de
                  l’exercice nerveux. D’une façon générale, notre cerveau a horreur
                  de réaliser une tâche sans en connaître la raison ; l’évolution l’a
                  sélectionné pour ne pas se prêter à ce genre d’exercice. En effet
                  l’autonomie, qui est la nature profonde de notre système cognitif,
                  ne peut s’exercer sans la capacité à renier certaines tâches, à igno‑
                  rer certains objectifs, à réprimer certaines possibilités. Un système
                  apprenant qui « partirait dans tous les sens », paradoxalement, ne
                  serait plus autonome.
                    Si l’autonomie requiert l’inhibition, elle est donc, en un sens,
                  consubstantielle à l’ignorance. En un sens non trivial, « j’ignore
                  donc je suis » : s’affirmer en tant qu’individu, c’est se déconnecter
                  du Tout. Ce thème est présent dans de nombreuses philosophies.
                  Le saint soufi Mansur al‑ Hallaj fut exécuté pour avoir hurlé en
                  place publique : « Je suis la Vérité », c’est‑ à‑ dire : « Je suis Dieu. »,
                  Il voulait signifier par là qu’il n’avait plus d’individualité propre,
                  qu’il s’était dissous entièrement dans la Totalité de l’Univers et était
                  devenu, d’un point de vue strictement panthéiste, Dieu lui‑ même…
                  Pour les soufis, c’est aussi l’un des sens, en Islam, du symbole du


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