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QUI EST VOTRE CERVEAU ?
                    Le  cerveau  aime  les  raccourcis,  les  pensées  automatiques,  et
                  quand il doit choisir entre facilité et vérité, bien trop souvent, il
                  choisit la facilité. Appréhender un objet mental dans son intégralité
                  nous est impossible. Penser toute une ville représente un effort
                  mental inaccessible. C’est cet effort, pourtant, que certains artistes
                  ont voulu réaliser, comme Saint‑ John Perse dans le poème « Ana‑
                  base », où il entreprend de saisir la fondation d’une ville, avec toute
                  la magnanimité que cela nécessite. La méthode de Perse, en vogue
                  à son époque, est connue sous le nom de « courant de conscience ».
                  Elle se manifeste par une succession d’images évoquant la ville et
                  demande un grand effort de lecture.
                    Parce que le cerveau est partisan du moindre effort, l’immense
                  majorité des gens n’essayent pas d’agrandir leur conscience. C’est
                  là une source infinie de maux humains. Et c’est aussi la raison pour
                  laquelle un poème de Saint‑ John Perse est difficile à lire.
                    Car la clé de tous les débats, de toutes les décisions, de toutes les
                  politiques, c’est la magnanimité, la grandeur de la conscience. Le
                  tout‑ venant politicien est d’une pusillanimité sans nom, incapable de
                  penser les choses dans leurs nuances, manipulant des objets comme
                  « France », « les Français », « l’avenir », « l’économie », « l’emploi »,
                  sans en avoir l’ombre d’une représentation mentale précise. Ceux
                  qui ont donné, puis exécuté l’ordre du feu nucléaire sur Nagasaki et
                  Hiroshima n’avaient pas la conscience assez grande pour se repré‑
                  senter seulement les activités d’un pâté de maison de ces villes, même
                  sur quelques jours, mais ils ont brûlé deux villes entières, familles,
                  histoires, chairs et émotions, parce qu’ils étaient trop inconscients.

                  Cerveau saturable, cerveau adaptable

                    Mais notre cerveau est saturable, et cette saturabilité a un énorme
                  avantage : l’adaptabilité. Ainsi, nous pouvons nous relever de l’éra‑
                  dication d’une ville entière comme nous pouvons nous relever d’un
                  seul accident d’autobus parce que l’accident d’autobus sature aussi
                  bien nos émotions fortes que la destruction de cette ville. Notre
                  cerveau ne peut pas se morfondre au‑ delà de certaines limites, il
                  finit par aller de l’avant. La saturabilité n’a pas été sélectionnée
                  accidentellement par l’évolution.
                    Dans les années 1980, le psychologue Robert Plutchik a ainsi
                  théorisé l’existence d’une « roue des émotions » ou « cône des


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