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QUI EST VOTRE CERVEAU ?
au connu, le non‑ maîtrisé au maîtrisé, le créateur au créé… Cette
erreur a perduré longtemps, aussi bien dans certaines écoles de
philosophie que dans certaines écoles de science cognitive. En phi‑
losophie, elle a donné lieu à la croyance selon laquelle tout travail
qui n’est pas rigoureusement typé logiquement (dans le sens de
1
Bertrand Russel) n’est pas philosophique .
Si ce débat perdure, c’est que le fonctionnement naturel de notre
pensée ne suit pas celui des machines et que, dans une civilisation
d’ingénieurs et de techniciens, la valeur de celui qui peut confiner
son esprit aux instructions‑ machine semble naturellement plus
grande que celle de celui qui ne le peut pas. Il est vrai que notre
esprit doit réaliser des efforts pour se confiner aux instructions‑
machine, parce qu’il n’a pas été formé comme cela. Or, jusqu’à
preuve du contraire, il n’existe encore aucune série d’instructions‑
machine capable de survivre dans la nature. Si notre esprit ne fonc‑
tionne pas selon elles, c’est qu’il y a une raison.
En particulier, notre esprit ne type pas les variables qu’il manipule.
Bertrand Russell avait introduit le typage des variables pour pallier
le paradoxe qui porte désormais son nom, et qui avait fait pâlir le
logicien Frege : l’ensemble des ensembles qui n’appartiennent pas
à eux‑ mêmes appartient‑ il à lui‑ même ? Pour résoudre ce para‑
doxe, Russell avait établi comme principe logique l’interdiction
de mélanger dans une phrase logique des objets et les ensembles
qui les contiennent, les contenants et les contenus. C’est ce que
réalise pourtant notre esprit en permanence. Les phrases que nous
écrivons sont naturellement hétérogènes : nous pouvons mettre
« moi » et « tous les gens comme moi » sur le même plan, dans la
même phrase. Le cerveau fonctionne ainsi, nos ordinateurs, non.
Cognitive miser
Cet aspect des choses est particulièrement intéressant quand nous
considérons notre empan cognitif. Comme je le disais plus haut, si
1. Concrètement, un groupe de philosophes déclara que, parce que la pensée de
Derrida n’était pas conforme à leur idée de la philosophie, il ne pouvait pas être un
philosophe. Cette attitude existe encore aujourd’hui dans le monde universitaire.
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