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toujours d’être arrivé à Paris la veille, alors qu’il vivait en France depuis vingt-cinq ans. Il
                 n’y avait rien de parisien chez lui. Les Français ne l’ont pas du tout contaminé, ni dans le
                 bon ni dans le mauvais sens. Il donnait toujours l’impression de tomber de la lune. Il
                 pensait s’être un peu francisé, mais ce n’était pas du tout le cas. Ce phénomène de non-

                 contamination était ahurissant. Il était resté intégralement anglo-saxon, et cela me plaisait
                 terriblement. Il ne fréquentait pas les cocktails, se sentait mal à l’aise en société, il n’avait
                 pas de « conversation » comme on dit. Il n’aimait parler qu’en tête à tête, et il avait alors
                 un charme extraordinaire. Je l’aimais énormément.
                 Avec Gabriel Liiceanu, 1990.

                 Beckett [est] tout à fait l’anti-balkanique. Un homme discret, qui a une sorte de sagesse. Il

                 domine à tout point de vue. Il vient de l’autre côté de l’Europe. C’est un angoissé qui a
                 une sagesse.

                 Beckett est un homme qui est toujours parfaitement lucide et qui ne réagit pas en écrivain.
                 Ce problème ne se pose pas chez lui — ce qui est très beau dans son cas — parce qu’il n’a
                 jamais réagi en écrivain. Il n’est pas du tout un « emballé » comme nous, nous sommes
                 tous des « emballés », lui, il est au-dessus de tout ça, il a un style de vie à lui, c’est un cas
                 tout à fait à part.
                 Avec Michael Jakob, 1988.


                 BERGER

                 Je pense aujourd’hui qu’il aurait beaucoup mieux valu pour moi rester dans le petit village
                 d’où je viens et y garder les troupeaux. J’y aurais compris les choses essentielles aussi bien
                 qu’à présent. J’y serais plus près de la vérité.
                 Avec Fritz J. Raddatz, 1986.



                 BICYCLETTE

                 En arrivant à Paris je m’étais engagé auprès de l’Institut français à écrire une thèse et j’en
                 avais déjà aussi communiqué le sujet — quelque chose sur l’éthique de Nietzsche — mais
                 je ne songeais pas  du  tout à l’écrire. Au  lieu de cela  j’ai parcouru la France entière à
                 bicyclette. On m’a finalement laissé ma bourse parce qu’on a trouvé que s’être mis  la
                 France dans les jambes n’était pas non plus sans mérite.

                 Avec François Bondy, 1972.


                 C’est le fait de partir à bicyclette à travers la France qui m’a guéri [de l’insomnie]. Pendant
                 des mois, en parcourant la France, je dormais dans les auberges de jeunesse, et l’effort
                 physique, les cent kilomètres par jour que je faisais m’ont permis de surmonter la crise.
                 Quand vous faites tous ces kilomètres dans la journée, vous devez dormir la nuit, sinon



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