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vous ne pouvez pas continuer. Ce ne sont donc pas des réflexions philosophiques qui
                 m’ont guéri, mais l’effort physique qui en même temps me faisait plaisir.




                 BOUDDHISME

                 Le bouddhisme m’a pendant très longtemps intéressé ; c’est que le bouddhisme vous
                 permet d’accéder à une religion sans avoir la foi. Le bouddhisme est une religion qui ne
                 préconise que la connaissance. On nous enseigne que nous ne sommes que des composés,
                 que ces composés se dissolvent, qu’ils n’ont pas de réalité, on nous démontre notre non-

                 réalité. Et ensuite, on dit : maintenant tirez les conséquences.
                 Avec Léo Gillet, 1982.

                 Je  me  suis  beaucoup  occupé  du  bouddhisme,  à  un  certain  moment.  Je  me  croyais
                 bouddhiste, mais en définitive, je me leurrais. J’ai finalement compris que je n’avais rien
                 de bouddhiste, et que j’étais prisonnier de mes contradictions, dues à mon tempérament.
                 J’ai alors renoncé à cette orgueilleuse illusion, puis je me suis dit que je devais m’accepter
                 tel que j’étais, qu’il ne valait pas la peine de parler tout le temps de détachement, puisque
                 je suis plutôt un frénétique.

                 Avec Luis Jorge Jalfen, 1982.

                 CAFARD

                 Je n’ai jamais pu écrire autrement que dans le cafard des nuits d’insomnie, et durant sept
                 années je pouvais à peine dormir. Je crois qu’on reconnaît, chez chaque écrivain, si les
                 pensées qui l’occupent sont des pensées du jour ou de la nuit. J’ai besoin de ce cafard et

                 aujourd’hui encore, avant d’écrire, je mets un disque de musique tzigane hongroise. En
                 même temps j’avais une forte vitalité que j’ai gardée et que je retourne contre elle-même.
                 Il  ne  s’agit  pas  d’être  plus  ou  moins  abattu,  il  faut  être  mélancolique  jusqu’à  l’excès,
                 extrêmement triste. C’est alors que se produit une réaction biologique salutaire. Entre
                 l’horreur et l’extase, je pratique une tristesse active.
                 Avec François Bondy, 1972.

                 CHANGER DE LANGUE


                 Si on en croit Simone Weil, changer de religion est aussi dangereux pour un croyant que
                 changer de langue pour un écrivain. Je ne suis pas tout à fait de cet avis. Écrire dans une
                 langue étrangère est une émancipation. C’est se libérer de son propre passé. Je dois avouer
                 cependant qu’au commencement le français me faisait l’effet d’une camisole de force. Rien
                 ne saurait moins convenir à un Balkanique que la rigueur de cette langue. [...] Lorsque plus
                 tard je me suis mis à écrire en français, j’ai fini par me rendre compte qu’adopter une



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