Page 11 - Le grimoire de Catherine
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nuit et à ses silences sous les voûtes de notre vieux palais. Les fleurs ainsi séduites
libéraient leur parfum capiteux. Le singe s’en enivrait et pirouettait en tous sens
provoquant ainsi nos rires. Moi, ce que je préférais, c’était m’observer dans le miroir
que me prêtait la Dame. J’ai toujours été obsédé par les dégâts du temps qui passe.
C’est justement, ce qui provoqua chez moi, une nuit de pleine lune, un moment de
panique. Mon reflet avait perdu de son éclat ! Je pensais tout d’abord que ce miroir
n’était pas propre, je le frottais, frottais, rien ne changeait. J’étais toujours aussi terne !
Je dus me rendre à l’évidence, j’étais empoussiérée, affadie, en danger d’effacement
progressif mais inéluctable ! Trop de temps enfermée dans mon cadre douillet, je
n’étais plus que l’ombre de moi-même. Une licorne sans panache il n’en était pas
question ! Rien ne pouvait plus me retenir, je me devais de retrouver ma vitalité, de
sauvegarder l’image de toutes les licornes qui peuplent tous les rêves des enfants et
même de certains adultes qui acceptent de ne pas
se prendre trop au sérieux de temps à autre. Je décidai alors de quitter mes amis, la
Dame me souhaita bonne chance et le singe fit glisser le crochet de la porte, un
dernier petit signe et je me glissai dans la ville inconnue encore endormie.
Je sortis, chancelante, secouais ma crinière, la débarrassant des quelques restes de
tapisserie et respirai à pleins poumons, l’aventure était à portée de mes sabots !
Paris sortait des limbes tout étincelante de gouttelettes de pluie hivernale, je sautais
sur le premier pont venu, me penchais pour admirer la Seine, constellée d’étoiles de la
nuit terminant leur toilette avant de rejoindre la voie lactée.
Relevant la tête j’aperçus à une enjambée deux grandes tours, j’étais face à l’église
Notre Dame de Paris. Sa réputation était parvenue à traversée les murs de notre
musée.
Curieuse, je me dirigeai vers elle. Tandis que j’observais ses dentelles de pierre, les
oiseaux jouaient tels des cerfs volants au-dessus de ses tours. Mon observation fut vite
interrompue par des bruits insolites. Je tendis mes longues oreilles. J’eus l’impression
que quelqu’un m’appelait. La voix était grave, caverneuse éraillée par le temps. Je
pensais que c’était un mauvais coup de mon imagination. On ne sort pas indemne de
tant d’années d’immobilité, d’admiration touristique.
Je me tapis, le museau entre les pattes, et attendis. La voix reprit « Viens, approche,
nous t’attendons depuis si longtemps, tous les guides parlent de toi .Regarde nous
sommes là, tout en haut »
Mon rêve d’aventure allait se réaliser, je bondis en direction de cet appel et atterris
contre une énorme bête. Je regrettai un instant la douceur de ma belle Dame de la
tapisserie mais il était trop tard. J’étais dans « du dur » dans de la pierre.. C’était un
géant, mi-homme mi- bête.. Ses pattes ne ressemblaient pas aux miennes mais plutôt à
celles d’un lion, griffes dehors ! En guise de museau délicat, il avait un bec bien crochu
et des ailes d’aigle ! Pire, devinez ! Sa queue portait des écailles de serpent !Pas
engageant, ce nouvel ami, ne pensez-vous pas ?
Tremblante, je lui demandais de se présenter. »Je suis une chimère. Mes sœurs et moi
surveillons le ciel de Paris depuis des siècles. Nous avons beaucoup de travail,
regarde toutes ces tours qui poussent. Un jour elles vont bien déchirer le décor. Une
fois, nous nous sommes endormies et bien quelqu’un en a profité pour monter cette
tour Eiffel toute en fer. Quelle horreur ! Depuis nous en avons des insomnies.
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