Page 82 - Le grimoire de Catherine
P. 82

LETTRE A MONSIEUR ANDERSEN


              J’ai une très bonne nouvelle pour vous,  votre petite fille  aux allumettes n’est pas morte
              au XIX ème siècle car je l’ai  bien  connue. Je  pense  que recevoir  des  nouvelles de
              vos héroïnes doit  vous intriguer. Je vous  joindrai, à toutes fins utiles, votre  texte  car
              je  sais  que vous avez été  particulièrement inspiré en  matière de contes. Ce  petit
              rappel devrait vous aider  à  vous  glisser dans  votre valise à souvenirs.
              Donc reprenons là,  où  vous  avez  laissée pour        morte, votre fillette  dans le  froid
              hivernal. Moi je  l’ai retrouvée  dans le Nord de la France, dans une famille   pauvre,
              ressemblant fort à celle décrite par un  de vos rivaux, Monsieur  Charles Perrault, celle
              du    Petit  Poucet.  Les  parents  élevaient    avec  difficulté  leurs      quatre    enfants.  Leur
              dernière  s’appelait Jeanne, j’espère que ce  prénom  vous convient, je ne connais pas
              vos goûts  en la  matière car vous avez  gardé  secret  celui de  votre héroïne.

              Elle n’était plus blonde ayant  quitté Copenhague  avec   vous,  mais toutefois  assez
              jolie, une petite  brunette aux yeux bleus. Je pense  qu’ils étaient de cette couleur  car
              elle  avait beaucoup regardé  le ciel porteur de tant de rêves.

              J’oubliais ! Vous lui aviez déposé  deux   grains de beauté de chaque  coté de la  lèvre
              supérieure, petite  folie de  votre part !  Je pense plutôt  que  vous  vouliez être sûr de la
              retrouver un jour !

              Comme dans toutes  les histoires, les plus jeunes sont  toujours les victimes des plus
              grands. Dans  cette famille, il était  difficile de  donner à  manger à toute cette marmaille
              qui vivait essentiellement de pommes de  terre et de harengs. Le chocolat  était une
              denrée  rare, offerte  aux enfants à l’occasion de Noël.

              Cette  année, chacun en reçut une barre  et  bien entendu se mit à convoiter  celle  de
              l’autre. Jeanne était alors  encore  petite et bien démunie face à la  gourmandise de
              tous.  Son frère se fit, pour la circonstance, grand chevalier et lui proposa de l’aider à
              cacher sa part. Ils partirent tout deux.
              Ils  allaient    trouver    un      endroit  sûr,  loin  des  regards    de  toutes    ces    convoitises.
              Jeanne  était  ravie,  elle  participa    à  la  recherche  de    la    meilleure  cachette.    Le
              lendemain  quand elle y retourna…la  friandise  avait disparu et  son frère riait bien, un
              proverbe  dit bien  que l’on est  toujours trahi  par les  siens . Elle apprit  ce jour là  qu’il
              n’y a pas  que chez  Cendrillon que les  frères et sœurs pouvaient être mauvais.  Je
              pense que  ce jour là  une des allumettes que vous  lui aviez  fournie  s’est éteinte.
              Jeanne  avait    eu  la  malchance  de  réapparaitre      en  mille    neuf  cent    sept  ,  aussi  la
              guerre    ne  tarda  pas  à    bouleverser  le  pays,  les  ennemis  gagnaient    du  terrain  ,  la
              famille  dut    partir    en  exode.  Imaginez,  Monsieur    Andersen,  la  panique, toutes  ces
              familles   munies  d’un maigre  baluchon  grimpant dans des charrettes à cheval.

              Tout était cris, bousculades. Il n’y avait  pas de temps à  perdre, des bras vigoureux
              avaient    soulevé    notre    petite  Jeanne  terrorisée  pour  la  déposer  dans  un    de  ces
              véhicules mais… elle avait perdu  parents et  frère et sœurs.






                                                           78
   77   78   79   80   81   82   83   84   85   86   87