Page 86 - Le grimoire de Catherine
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L’INTRUSE


            La  bibliothécaire  le  reconnut  aussitôt.  C’était  le  jeune  homme  qui  n’empruntait  que  des
            ouvrages d’archéologie. Il  venait  encore  d’entrer, la faisant  sursauter. Une fois de plus, il
            avait    fait    claquer  la  porte  à  la    peinture    écaillée  par    tant  d’années    de  mauvais
            traitements.
            Il l’avait  sortie  ainsi de ses recherches  de  solutions  sur la grille de mots  croisés qu’elle
            s’évertuait    à  compléter      chaque      jour.  Elle  cherchait    à  répondre  à  la    sempiternelle
            énigme sur  laquelle  elle  butait  inévitablement « concerne  le  Chaos en  4 lettres ».

            Et voilà, il était là, devant elle, lui tendant sa  carte d’adhérent, tirée  de son grand  sac
            informe, plutôt  un carnier  qui avait dû  transporter plusieurs  générations de cadavres de
            perdrix. Ses baskets informes et son écharpe aux couleurs diluées  lui  faisaient  en déduire
            qu’il  s’agissait  d’un  étudiant  qui  vivait  dans  ses  rêves,  un  Rimbaud,  un    homme  aux
            semelles de  vent !
            Elle ne comprenait pas pourquoi il ne s’attardait jamais  au rayon poésie, mais  peut-être
            après tout, recelait –t-il  sous cette chevelure ébouriffée, des trésors d’évasions et de mots
            magiques. Donc ce garçon se dirigea vers le rayon consacré  à l’archéologie, d’ailleurs, peu
            visité, à l’accoutumée.

            Assis, en tailleur, à même le sol, délaissant les coussins éreintés par le temps, il commença
            ses recherches, puis se leva et monopolisa le seul ordinateur  disponible, naviguant d’un
            site à un autre. Ce rituel, elle commençait à le connaître et à éveiller sa curiosité. Ce jour, il
            l’agaça  particulièrement,  elle  avait  hâte  qu’il parte  pour  rechercher  sur  le  dictionnaire  en
            ligne la composition de  ce  foutu « Chaos ». Alors, elle mentit, lui dit  de partir vite car un
            avis de tempête  venait de  lui être  signalé. Il fallait mieux être  chez  soi et se dit elle,
            perfidement, que cela  devait  avoir un impact sur un  homme « aux semelles de  vent ».

            En effet, le  jeune homme partit,  oubliant  d’éteindre l’ordinateur. Elle allait savoir enfin ce
            qu’il cherchait dans les ouvrages et articles  traitant d’archéologie.
            Il    avait  toutefois    eu  le  temps  d’emprunter  deux    ouvrages  l’un  traitant  des  sites    du
            néolithique    datant      du  VIème    millénaire  avant  Jésus  Christ,  l’autre  des    dinosaures
            théropodes. Théropode ! La  théorie  du Chaos pouvait attendre. Elle allait  savoir ce qu’est
            un théropode.
            Qu’elle  ne  fut    pas  sa  surprise  de  trouver  la  trace  de    ce  terme  sur  les  recherches
            informatiques  de  l’étudiant.  Le  dinosaure    théropode  est    l’ancêtre  de    nos  oiseaux.
            Décidemment, ce garçon devait être  porteur d’un drôle  de secret, la  prochaine fois qu’il
            reviendra, elle  lui prêtera  plus d’attention.  Elle décida de  réaménager  les lieux afin de
            suivre ses faits et gestes et de lister tout ce qu’il allait consulter.

            Que  pouvaient  bien  contenir  tous  ces  ouvrages  aux  titres  barbares  « du  paléolithique  au
            mésolithique,
            Du  néolithique  à  l’âge  de  fer ».  Leurs  couvertures,  saupoudrées  d’une  bonne  couche  de
            poussière  après  un  énergique  nettoyage,  réapparurent  comme    neuves.  Ils    étaient
            maintenant dignes  d’être exposés, recommandés comme dans les bonnes librairies  avec



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