Page 84 - Le grimoire de Catherine
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Juste  avant de disparaitre, son amour avait  voulu déménager, pour une maison  plus
              grande,  mais  il  restait  beaucoup  de  travaux    à  faire  et  Jeanne  était    là,  seule,  sans
              ressources, sans  chauffage, fenêtres  et portes  laissant  entrer le vent et  le toit  la
              pluie. Comme  la petite brunette ressemblait alors  à  la petite  fille blonde  tremblante
              dans vos  rues danoises.

              Elle mangeait peu se  contentant   de soupes heureusement que lors de l’héritage  de
              la  famille  de  l’ogre,  elle  avait    reçu  pour  solde  de  tout  compte  une  série  d’assiettes
              creuses.

              Elle  n’appela  jamais   au secours et trouva  un travail à domicile, l’encartage. Faisons
              un    petit  arrêt    technique  pour  votre  compréhension.  Il  s’agissait  d’une  activité
              spécifique à la région et réservée  aux femmes.

              L’employeur leur  distribuait  des sacs de boutons  soit en coquillage, soit  en plastique.
              Il fallait les coudre dans un temps record, sur des feuilles  cartonnées afin qu’ils soient
              vendus à des grossistes parisiens dans la couture ou dans les  merceries raffinées. La
              présentation la plus  sophistiquée se   présentait  ainsi : sur une petite  carte  il fallait
              poser une feuille  d’aluminium  appelée « paille » puis  coudre les petits  boutons de
              nacre. Les autres, en plastique, plus vulgaires  étaient fixés par un fil plus robuste.
              Tout ce travail, déformait  les doigts, abimait  les yeux des travailleuses à domicile qui
              devaient fournir beaucoup, souvent  terminer ces travaux tard   le soir  pour un salaire
              dérisoire mais qui permettait de vivre la tête  haute.

               Jeanne  retrouvait  peu  à  peu  son  sourire  car  elle  était  alors    entourée  d’enfants.
              Certains lui préparaient  ses aiguillées de fils, d’autre  venaient  réciter  leurs leçons,
              d’autre    encore    déguster    ses  tartines  de  pain  saupoudrées  de  sucre    en  poudre.
              Chacun venait se réchauffer auprès de votre petite  fille aux allumettes.

              Un  jour enfin on lui proposa un autre travail, celui de s’occuper  des enfants de l’école
              maternelle en aidant  leur institutrice.

              Qui aurait  mieux qu’elle compris tous les gros  chagrins ? Qui aurait  mieux  soigné  les
              genoux  égratignés  dans  la  cour  de  récréation ?  Ce  travail  était    idéal,  elle  faisait  ce
              qu’elle  aimait  et    en  plus    elle  gagnait    enfin    de  quoi  réparer    tout      doucement  sa
              maison, fleurir  son jardin, planter des arbres fruitiers.

              Les  enfants  continuaient  à la visiter, à écouter ses  histoires, ses conseils comme
              une fée  sait le faire.
              De plus  sa famille s’était  agrandit, sa fille  avait eu  une fille qui, elle-même, avait  deux
              petites filles. Leur  visite était une fête. Elle se mit  à la cuisine enfin presque. A ses
              fameuses  tartines  au sucre, elle ajouta  la confection des crêpes et gaufres. Elle les
              emmenait cueillir  les premières fraises  tout au fond  de son jardin et les grappes de
              groseilles rougissantes.

              Elles apprenaient avec elle, le nom des fleurs, perce  neige, œillet  de poète, coucou.
              Quel  florilège de mots magiques à mettre en bouquet. La  visite  se poursuivait sur la
              pointe des pieds. Dans  la citerne ,elles  faisaient connaissance avec  les oisillons d’une
              mésange  lovés  les  uns  contre  autres  et quand tout allait bien , si elles   ne faisaient




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