Page 10 - Lux in Nocte 4
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Mais ce voyage est refusé. C’est l’interdit du destin de vivre la mort d’autrui et de
               la comprendre ; malgré son incontestable talent, Verdi n’est pas un demi-dieu et
               l’amitié, fu-t-elle d’inspiration orphique, n’a pas cours dans cette œuvre, vrai éloge de
               l’absence vorace qui creuse inlassablement le monde.
                  Inspirée par la guerre, par la volupté sadique de prendre et de donner la mort sous
               des prétextes « hautement » moreaux, on perçoit le germe dégénéré de l’entropie
               psychique,  la  négation  de  l’espèce  dans  le  contexte  collectif  de  la  guerre.
               Dégénérescence  aussi  de  l’instinct  de  survie  matérialisée  depuis  toujours  par  la
               recherche de l’armement : tuer mieux que l’autre !  À quelle adresse trouve-t-on le
               Paradis ?
                  Dans le Tuba mirum, trompette éclatante répandant sa sonorité parmi les tombes
               de l’univers, l’essentiel est le signal qui transformé en menace, s’accomplira dans la

               suite de l’œuvre. Pas de juge, pas de jugement ; le rythme et la sonorité froide et
               métallique des cuivres étincelants domineront le temps d’après et nous infligeront la
               punition finale : nous deviendrons « rien ». Le drame funeste nous plonge dans la
               tragédie du dernier avenir. Cela sans aucune mélodie, dans des profondeurs sans Dieu

               ni anges, lieu abscons dans l’obscurité universelle gérée par la férocité satanique du
               vide tout puissant. Tuba     mirum...






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                  L’œuvre m’a transmis l’ampleur du désespoir du compositeur véhiculée par l’idée

               païenne  qu’à  travers  et  après  la  mort,  nous  ne  connaîtrons  rien,  nous  ne
               rencontrerons  personne.  Tragédie  antique ?  L’éventuelle  félicité  imaginée  et  tant

               souhaitée dans les moments de détresse et de malheur ne se trouvera pas là-haut ; le
               paradis sera ailleurs et s’il n’est pas en nous, nous serons obligés de le fabriquer. Il
               semble donc, que le mystère du monde doit rester à jamais inaccessible même pour

               ceux qui empruntent les voies artistiques du bien et du beau réunis.                      -

                   Est-ce une option athée de la vie ou plutôt de la mort ? Peut-être pas, car l’au

               delà est présent dans l’œuvre. Le paradis reste imperceptible dans une nuit profonde
               et le discours devient l’éloge de l’ignorance dans la mort ! Il n’y a rien de plus grand

               que  notre  ignorance  et  ce  Requiem  nous  fait  vivre  non  pas  l’ignorance  mais  sa
               grandeur ; le ressentir de l’immensité qui s’élève au degré cosmique couvrant tout
               contenu, toute aspérité, toute particularité acquérir ainsi une dimension inhumaine.

               Toute velléité existentielle, toute identité sont réduites à l’état phénoménal, juste un
               passage  « obligatoirement  accessible »,  tout  n’est  qu’une  issue  éternelle  !    Si  la

               naissance est l’entrée dans l’ignorance par l’espoir, la mort est la sortie de l’illusion
               faustienne.
                  Ce Requiem, dans son effervescence apocalyptique marque notre intégration dans

               le néant. Dans cette œuvre, il me semble que l’apocalypse n’est pas la maladie, la
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