Page 9 - Lux in Nocte 4
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moment « clé » de l’œuvre exposé dans le Dies irae, jour de colère, de jugement, de
condamnation… Et effectivement ce jour arrive ! Les fragments précédents après
nous avoir dépouillé de nos pensées immédiates, nous avaient subtilement amené
dans un endroit inconnu mais pas déplaisant, dont l’horizon restait caché derrière un
brouillard laiteux. Dès les premiers accords du Dies irae on se découvre stupéfaits au
bord d’un gouffre abyssal d’une profondeur surdimensionnée qui monte et nous
enveloppe inlassablement. Dies irae...
Il n’y a rien dedans ! Aucun thème terrestre, amour, amitié, commisération,
mélancolie, rien ! La solitude absolue, peut-être la liberté due à l’absence de toute
présence. Une musique créée par la tension invisible du vide, un vide mystérieux qui
nous rend décharnés et nous absorbe et propulse dans un vacarme insoutenable.
Nous ne pouvons pas sortir car nous sommes déjà dehors. Ce dehors meublé du
bruit » de nos angoisses issu du désespoir et de la peur du rien, du manque de tout
référentiel humain ou inhumain.
« Le discours fuit dans la sonorité des mots, des terribles récitatifs : Mors stupebit
et natura cum resurget creatura, judicanti responsura, liber scriptus profeetur in quo mundus judicetur… 9
(La mort et la nature s’étonneront quand la créature ressuscitera pour rendre compte au juge ; le livre sera apporté
dans le quel sera consigné sur quoi le monde sera jugé)
Le tout souligné par des conglomérats sonores qui s’entrechoquent sans cesse
empêchant toute possibilité d’orientation et dont la puissance nous assomme. Ce
vide assourdissant nous aspire, nous enlève les chairs et nous devenons néant ; mais
un néant que l’on subit, dans lequel à peine passent quelques accents d’une souffrance
improbable évoquant un regret immatériel sans cible, errant dans l’éternité.
On vit une liberté tragique, car absolue, l’abandon de soi-même, de toute
représentation et convention, la liberté par la mort vue, entendue et vécue de son
vivant ! Cette mort issue de la guerre ! Acte de la recherche ultime : acquérir la seule
certitude universelle à travers la mort de l’autre car on peut ne pas naître, mais il est
impossible de ne pas mourir. Cette terrible réponse suicidaire de l’espèce qui nous
pousse à chercher à quelle image nous ressemblons ou bien comprendre la punition
inexorable due à la dégustation du fruit de la connaissance.
C’est aussi le voyage désespéré dans l’esprit de l’ami de Verdi, le poète Manzoni,
dont la disparition incita le compositeur à créer ce Requiem.