Page 14 - Prologue
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Elle avait ensuite beaucoup parlé avec sa mère et avait réussi à
convaincre son futur mari, par lettres échangées, de signer un
contrat de mariage, prétextant que c’était la coutume en Amérique.
Elle fut assez généreuse dans ce contrat afin de pouvoir y glisser
quelques alinéas importants pour elle, offrant, en compensation,
une partie de ses investissements en guise de dot ainsi que des
terres sur le continent outre-Atlantique qui avaient appartenu à sa
mère.
Elle avait peu dormi la veille et cela se lisait sur son visage ce
matin. Des cernes violacés marquaient sa peau encore plus blanche
que d’habitude. Tant mieux ! Que tout le monde sache qu’elle
n’était pas là par plaisir. Elle entendait les domestiques soupirer et
sourit. Elle savait qu’elle allait piétiner la tradition des deux pieds et
cela était évidemment son but. Lentement, elle rabattit son voile
noir sur son visage et se leva, faisant froufrouter l’impressionnante
traîne dans son dos. Sa robe avait fait hoqueter d’horreur la
couturière, mais on ne refusait rien à la fille d’un duc. Eleanor en
était très fière, c’est elle-même qui l’avait dessinée. La coupe en
était simple, le col montant ne dévoilait absolument rien de sa peau
claire, de même que ses manches serrées. C’est avec des mains
gantées qu’elle prit le bouquet de roses, assorties à sa robe, que lui
tendait une femme de chambre.
— Comment suis-je ? demanda-t-elle.
— Vous êtes… une mariée peu orthodoxe.
— Parfait.
Elle sortit alors, vêtue de sa très chaste robe de soie et dentelle
noires, ressemblant bien plus à une veuve qu’à une jeune mariée
rougissante et prête à dire oui devant l’autel.
Car oui, aujourd’hui était pour elle un jour de deuil, celui de sa
liberté et sans doute de son innocence. Mais elle allait lui montrer
qu’on ne se jouait pas impunément d’Eleanor Egerton. Lord Grant
avait peut-être remporté cette bataille, mais il n’était pas dit qu’il
gagnerait la guerre.